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fait dans le résultat qu’il obtient, et ses filles de Fontenay retrouvent-elles toujours elles-mêmes, dans ce que leur accorde la vie, les espérances et les promesses de l’Ecole ? L’élève de Fontenay sort généralement d’un milieu plus humble que celle de Sèvres, et le Musée pédagogique nous renseigne sur ce point avec exactitude. Elle arrive souvent de « la plus humble famille rurale. » Elle est fille de paysans, de petits commerçans, du petits employés, d’ouvriers, de cultivateurs, de demi-bourgeois de village ou de petite ville. Elle a des frères, des sœurs, des oncles, des tantes, des parens et des alliés bas placés, petits métayers, petits boutiquiers, domestiques. Elle a peut-être elle-même hésité entre la carrière de femme de chambre et celle d’éducatrice, et le bureau de placement l’aurait recueillie si Fontenay lui avait manqué. Est-ce une raison de médire d’elle ? Bien loin de là, et rien n’est plus louable que cette vaillante fille partie de si peu, et parvenue à l’une des plus hautes écoles du pays. Mais que peut-elle bien penser, une fois à l’école, et quelles réflexions doit-elle faire ? Que s’y produit-il dans son esprit ? Elle a passé victorieusement par des examens et des concours où des multitudes d’autres ont échoué, et ce serait déjà là pour toute jeune fille, c’est à plus forte raison pour elle, un premier motif d’exaltation. Et la voilà maintenant au sommet de l’échelle, parmi les cinquante filles les plus intelligentes de France ! On la loge et on la nourrit pour son mérite, on lui donne pour professeurs les professeurs de la Sorbonne et les membres de l’Institut, et l’avenir s’ouvre devant elle tout radieux, tout illuminé. Et toutes les sensations qu’elle reçoit de ces succès, des perspectives qu’ils lui montrent, elle ne les éprouve pas en jeune fille isolément favorisée par le sort, et que son isolement maintient dans la circonspection et la crainte, mais en corps, au milieu de compagnes qui les ressentent comme elle, et avec la force, l’intensité, l’assurance, la griserie de l’entraînement commun ! Comme la petite ville ou le village, la boutique pauvre, la chaumière au pavé rugueux, le père en blouse, l’oncle jardinier, la mère en marmotte, comme tout cela doit parfois lui sembler loin ! Et quels rêves elle doit faire, quelles idées ne fermentent pas en elle, dans cette belle maison de Fontenay, entre la visite du ministre et le cours de l’académicien ! Aura-t-elle même, dans tout cela, le fonds de bon sens que donne à une fille pauvre une éducation première un peu relevée, où elle aura pu apprendre le mépris de ce qui brille par