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depuis plusieurs siècles, mis les habitans primitifs de la Sicile « n relations avec l’Europe orientale. Il ressort donc de cette observation que les plus récens même des cimetières sikèles sur lesquels a porté cette étude sont encore antérieurs à la fondation des premières cités grecques de la Sicile, à celle de Naxos et de Syracuse, de Leontini et de Megara.


IV

Grâce à la richesse des séries préhistoriques qui ont été récemment constituées dans les musées de Palerme et de Syracuse, grâce aussi à ces journaux des fouilles où M. Orsi a mis tout à la fois tant d’abondance et de précision, nous avons pu classer et définir les plus curieux des monumens qui représentent l’industrie des premiers habitans de la Sicile dont le nom ait été conservé par l’histoire. Il reste à dire quelle idée on arrive à se faire, d’après ces monumens, du génie des Sikèles et de leurs prédispositions natives, de leurs habitudes et de leurs mœurs.

Ce qui paraît tout d’abord incontestable, c’est que les Sikèles étaient un peuple heureusement doué, auquel il n’a peut-être manqué, pour créer, par son propre effort, une forme originale de civilisation, que de se développer dans un autre milieu. L’île où les circonstances l’avaient jeté était trop loin du bassin oriental de la Méditerranée, où venaient, de toute part, aboutir des courans chargés de germes féconds, trop loin de cette mer Egée où il y avait, de l’un à l’autre rivage, une si active circulation de pensées et de croyances, d’hypothèses suggestives et d’ingénieuses inventions. Plus rapproché d’un tel centre de vie, il aurait sans doute joué un rôle moins tardif et moins effacé. Ce qui donne la mesure de ses aptitudes, c’est la patience obstinée avec laquelle, alors qu’il n’a, pour entamer la roche calcaire, que des outils qui s’ébrèchent à chaque coup porté, il ne s’en acharne pas moins à y creuser la tombe de famille ; c’est aussi l’initiative qu’il prend, lorsque, en plein âge de pierre, il imagine de peindre ses vases, procédé que la Grèce a connu seulement dans une phase très postérieure de son évolution. Enfin, ce qui achève de montrer qu’il était de race noble, c’est la facilité même avec laquelle, une fois établi le contact direct entre les Grecs et lui, il subit leur influence et finit par se fondre avec eux en un seul corps de nation.