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dont tout nous porte à avoir une médiocre opinion. Il est plaisant, — mais il est vrai, — que nous nous gardons contre les Grecs beaucoup plus que contre les Turcs; car, si nous n’avons pas à craindre pour nos jours, nous en sommes bien dédommagés par une inquiétude continuelle pour notre bourse. Plusieurs vols ont déjà été commis, quelquefois avec adresse, plus souvent avec une candeur bizarre : ainsi, par exemple, un marchand de fruits vous donne sa marchandise, reçoit votre argent, et sans vous rendre le surplus, se sauve à grand tour de jambes; si on le rattrape dans un bois, il donne à entendre qu’il allait changer. On les rosse, mais on ne les pend pas; ils reçoivent les coups et continuent leur métier.

Au reste, ce serait bien se presser que juger le caractère de la masse par ce que nous avons vu de mendians dispersés, et nous attendons, pour croire à tout le mal qu’on nous a dit d’eux, que l’expérience nous donne le droit d’être juges.

Le général en chef a eu avant-hier, à bord du Conquérant, une entrevue de six à sept heures avec Ibrahim. Cet homme singulier n’a pas manqué de séduire notre chef comme les autres. La conversation a été amicale au dernier point. Ibrahim a fait tout ce qu’on a voulu, et a même accepté les transports étrangers qu’il avait obstinément refusés jusqu’à présent. L’embarquement, interrompu faute de transports, a recommencé immédiatement; et sous peu de temps, — quinze jours par exemple, — il est probable qu’il ne restera plus d’Égyptiens en Morée. Les Turcs, qu’Ibrahim ne pouvait emmener sans se déclarer contre la Porte, veulent, dit-on, le suivre. Nous aurions donc, alors, sans coup férir, des places pour hiverner. Il est urgent qu’on prenne un parti; car les fièvres et quelques dyssenteries annoncent de grandes pertes, si on doit passer l’hiver sous les mauvaises tentes qui nous recouvrent depuis quelques jours. Sur 400 hommes et 24 officiers, nous avons une trentaine de soldats et 6 officiers atteints des fièvres. Nos anciens, de qui nous nous promettions de prendre exemple pour supporter le temps du ciel, et les autres désagrémens de la vie nomade, disent du matin au soir : « Nous sommes mal, très mal! » L’armée, composée de jeunes soldats, est fort indisciplinée. Tu me trouveras peut-être présomptueux; mais il est vrai qu’il n’y a guère que les jeunes officiers qui vaillent quelque chose; on n’en entend pas un se plaindre. Nous sommes tous contens et joyeux et regrettons seulement que quelques coups