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du mélodrame, qui vient et puis qui s’en va — a envoyé de suite contre-ordre. Quelques postes enlevés ont été religieusement rendus à nos amis les Turcs. Dès lors, comme bien tu penses, rechute de notre moral qui ne s’est pas relevé. — Les compagnies de sapeurs et nous, sommes partis, le 12, du camp de Petalidi, et sommes venus prendre position en vue de Navarin, ayant le camp d’Ibrahim et la ville devant nous et deux redoutes turques en arrière. Nous n’étions que 300 hommes. Tu vois que nous faisons une guerre bien pacifique avec les Égyptiens, qui, pour du pain, venaient nous vendre du tabac et même de la viande fraîche quand ils en tuaient. La division n’est venue nous rejoindre qu’après que nous avons eu préparé ses établissemens, en sorte que, depuis le 17, nous sommes campés ici à une lieue et demie de Navarin environ, et vers le nord de la rade. Les deux tiers de la brigade Sébastiani sont encore sous Coron ; la brigade Schneider n’est pas encore débarquée ; elle a été fort tourmentée en mer ; deux bâtimens chargés de chevaux ont péri dans le golfe de Coron, où tous ne sont pas encore rassemblés. — Voilà notre position. — Quant aux nouvelles, nous en savons peut-être moins que vous. Avant notre arrivée, l’amiral de Rigny avait déjà décidé Ibrahim à signer un traité, par lequel il consentait à évacuer la Morée, laissant 1 200 Albanais dans les places fortes. La vue des troupes françaises l’a décidé à ne plus ajourner, — en apparence au moins, — l’exécution de ce traité ; et le 19, 3 000 à 4 000 Égyptiens sont partis ; mais ce convoi n’est composé, dit-on, que de ses malades, de quelques irréguliers, et du régiment de Sève[1]. Ibrahim est un temporiseur, homme de joyeux caractère et aimant la table ; beaucoup moins noir qu’on ne nous le dépeignait en France. Soit finesse, soit réalité, il affiche pour tout ce qui est français une admiration qui lui a gagné tous ceux qui ont été en contact avec lui. Les officiers de marine sont ses zélés défenseurs, et, de tout ce que nous avons pu recueillir de partial ou d’impartial, il nous paraît résulter évidemment que cet homme est loin d’avoir commis toutes les cruautés qu’on lui attribue et dont l’énumération le fait, dit-on, sourire. Les soldats Ont exercé des vengeances sur les Grecs ; mais Ibrahim n’a ordonné rien de ce qu’on lui reproche, et une grande partie des incendies, dévastations et massacres, sont du fait de nos protégés,

  1. Colonel français au service de l’Egypte.