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Parfois aussi elle voulait revêtir l’habit des dames de Saint-Cyr, et que Mlle d’Aubigné le revêtit également. Mais elle exigeait que Mlle d’Aubigné ne portât que le costume de novice, tandis qu’elle-même aurait la croix d’or, le grand manteau et tous les apanages des professes, ce qui causait un furieux dépit à Mlle d’Aubigné. « Elles passèrent une fois un jour entier au noviciat dont elles suivirent les exercices, allant balayer et faire toutes les pratiques usitées. Mais, après avoir bien gardé le silence toute la journée, elles s’en lassèrent, et se dérobèrent pour parler à leur aise. »

Jouer à la religieuse n’était pas un divertissement qui convînt en effet à l’humeur ordinaire de la Princesse. Elle avait conservé le goût des amusemens de son âge, et il fallait que tout le monde y prît part avec elle. C’est ainsi que Mme de Maintenon, qui offrait à Dieu toutes ces complaisances, se voyait obligée de jouer à cache-mitouche[1]. Mais la Princesse aimait surtout à courir avec les demoiselles dans le grand jardin dont Mansart avait tracé le plan et dont le Roi lui-même avait baptisé les allées et les bosquets de noms symboliques : Allée des réflexions, — Allée solitaire, — Allée du cœur, — Cabinet du recueillement, — Cabinet solitaire. « C’étoit tantôt des parties de cligne-musettes, tantôt des danses ou des jeux de mouvemens où elle triomphoit par son activité. » Elle aimait aussi à passer ses journées à l’économat, et à aider la sœur dépensière, rangeant les fruits avec elle, faisant ses commissions et n’étant jamais si contente que quand la sœur lui disait : faites ceci, ou : allez là, sans avoir égard à son rang. Quand elle avait bien travaillé, elle mangeait quelques pommes toutes ridées avec du pain bis, régal qu’elle préférait à tout. Elle aimait aussi à passer de longues heures, en compagnie de Mlle d’Aubigné, à l’apothicairerie où il y avait une vieille sœur converse, la sœur Marie, au parler un peu paysan, qui profitait de l’occasion pour les prêcher toutes deux sur la vanité du monde. « Cette morale, débitée avec le ton qu’il est aisé de se figurer, les divertissait beaucoup. » Un jour, la Princesse fut prise à l’apothicairerie d’une violente colique. La sœur Marie lui conseilla de s’appliquer sur le ventre un vieux couvercle de pot de terre bien gras et bien vieux. Elle suivit le conseil, et le soir, quand, de retour à Versailles, ses femmes de chambre la

  1. Entretiens sur l’éducation des filles, p. 31.