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l’occasion de lui faire un portrait de quelque princesse bien polie, modeste, précieuse, délicate, s’attirant le respect, ne le manquez pas, s’il vous plaît. Je crains qu’on ne se conforme à la grossièreté de notre siècle[1]. » Comment Dangeau s’acquitta de ces fonctions de précepteur, nous n’en savons rien. Il a la modestie de s’en taire dans son Journal, mais nous doutons que la Princesse ait jamais bien su l’histoire romaine.

Cette lettre où Mme de Maintenon recommande à Dangeau, transformé en précepteur, d’offrir à son élève le modèle d’une princesse précieuse semble un ressouvenir de sa jeunesse et du temps où elle-même fréquentait à l’hôtel d’Albret les dernières précieuses. Cependant elle en était arrivée à faire peu de cas du bel esprit qu’elle proscrivait sévèrement de l’éducation de Saint-Cyr. Ses préoccupations en ce qui concernait la Princesse étaient tournées d’un autre côté : « Vous pensez juste sur la princesse de Savoie, écrivait-elle à Mme de Brinon, qui avait été la première supérieure de Saint-Cyr ; il ne faut rien oublier pour l’élever chrétiennement. Il paroit qu’on l’a fait jusqu’à cette heure ; priez pour elle[2]. » La Princesse avait reçu, en effet, de celle que Madame appelle « sa sainte mère » une éducation foncièrement chrétienne. S’entretenant quelques années plus tard avec les demoiselles de Saint-Cyr, Mme de Maintenon rapportait d’elle un trait curieux : « Je me souviens que, quand Mme la duchesse de Bourgogne, qui étoit à peu près de votre âge, vint en France, elle paroissoit être indifférente pour toutes sortes de plaisirs, et elle étoit de même pour les richesses et les honneurs, dont il ne sembloit pas qu’elle se souciât ; mais quand je lui disois : Il y aura du péché si vous faites cela, elle reprenoit avec une grande vivacité : « Il y aura du péché ? voilà qui est fait ; je ne le ferai point », et j’avois le plaisir de lui voir toujours le même mouvement de vivacité, toutes les fois que je la faisois apercevoir qu’il y auroit du péché à quelque chose, et, quelque envie qu’elle eût de le vouloir faire, elle s’arrêtoit court. »

C’était cette horreur du péché qu’il s’agissait d’entretenir dans une âme enfantine, au milieu d’une Cour où le péché, malgré une plus grande régularité apparente, n’était pas précisément en horreur. Pour cela, il fallait d’abord la soustraire à des influences qui auraient pu tout naturellement s’exercer sur elle, et en

  1. Correspondance générale, t. IV, p. 166.
  2. Lettres historiques et édifiantes, t, I. p. 469.