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Monseigneur ayant été, comme à son ordinaire, courir le loup, ce fut pour elle jour de repos. Elle ne sortit point de ses appartemens et dut se divertir à regarder les présens qu’elle avait reçus. Le soir même de son arrivée, le Roi lui avait fait remettre, par Mme de Mailly, les pierreries de la couronne pour qu’elle pût s’en parer tant qu’elle le voudrait. Monseigneur lui avait également fait cadeau de bijoux d’or très bien travaillés. Certes il y avait là de quoi éblouir une enfant élevée dans une cour simple et pauvre. Mais l’âge ne perd jamais tous ses droits et les bijoux ne la firent renoncer ni aux poupées ni surtout à colin-maillard. Elle forçait en quelque sorte les personnes les plus graves à y jouer. « Tout le monde redevient enfant, écrivait Madame à sa tante l’Électrice de Hanovre. Avant-hier la princesse d’Harcourt et Mme de Pontchartin (Pontchartrain) jouèrent à colin-maillard, et hier ce fut au tour de Monsieur le Dauphin, de Monsieur, de la princesse et du prince de Conti, de Mme de Ventadour, de deux autres de nos dames et au mien. Comment trouvez-vous la compagnie[1] ? » C’était là précisément ce qui plaisait en elle, ce mélange de vivacité et de retenue, d’à-propos et de timidité, d’esprit précoce et de manières enfantines. Dès les premiers jours tout le monde avait subi son charme. Nous donnerons ici le portrait que Sourches traçait d’elle au lendemain de son arrivée, car celui de Saint-Simon est postérieur de plusieurs années :


Elle étoit extrêmement petite, mais d’une taille très jolie et très adroite, et toutes ses actions, jusqu’aux moindres, faisoient paroître de l’esprit. Elle avoit les cheveux très beaux et très longs, d’un châtain cendré, qui, selon les apparences, devoit devenir noir. Le teint étoit fort beau et fort vif ; ses yeux, très grands, mais un peu trop ouverts en haut, son nez un peu étroit par le haut et un peu court, mais fait de manière à devenir grand ; son front, trop grand et trop avancé, ce qui lui faisoit paroître les yeux un peu creux ; sa bouche, assez grande et trop grosse, qui n’étoit pas désagréable quand elle ne rioit pas ; ses dents assez blanches, mais grandes et mal arrangées ; sa gorge très bien faite, autant qu’on la pouvoit connoître à son âge. Elle avoit l’air sérieux et doux, et savoit déjà accorder de la vivacité avec un air majestueux. Elle parloit peu et répondoit avec de l’esprit et de la justesse. Cependant elle étoit encore enfant jusqu’à avoir des poupées et jouer à colin-maillard.


« Le Roi, dit encore Sourches quelques pages plus loin, étoit enchanté de ses manières et il témoignoit pour elle une amitié

  1. Correspondance de Madame, duchesse d’Orléans, traduction Jaeglé, t. 1, p. 138.