Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 141.djvu/482

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme une véritable peste morale, les plus dangereux fermons de convoitises, de guerre, de conquête et d’anarchie. Malgré tout cela, on continuait de regarder l’empire ottoman comme un corps mort, et la Grèce a cru qu’il l’était. Elle s’est ruée sur lui. EUe l’a fait avec d’autant plus de maladresse que sa propre situation, pour peu qu’elle s’y fût patiemment tenue pendant quelques semaines encore, n’était pas, il s’en faut, mauvaise. L’argent lui manquait, à la vérité, et c’est toujours un grand mal ; mais, sauf cette infirmité passée chez elle à l’état chronique, l’état général de ses affaires était plutôt satisfaisant et ses fautes mêmes avaient tout l’air de tourner à son profit. Que n’en est—elle restée là ? Nous lui disions, avec tous ses amis, qu’elle aurait, en somme, le mérite d’avoir arraché la Crète au joug ottoman, pour lui procurer une autonomie réelle et probablement provisoire : un peu plus tôt, un peu plus tard, la grande île ne manquerait pas de lui faire retour. Dès maintenant, son adhésion serait indispensable au prince qui serait choisi pour la gouverner, et finalement ce prince aurait sans doute été un fils du roi Georges. N’étaient-ce pas là des avantages très appréciables ? Que ne donnerait pas la Grèce pour les posséder encore aujourd’hui ? Que fallait-il pour se les assurer ? Faire durer une situation qui commençait à causer à l’Europe autant d’ennui que d’embarras, et surtout se bien garder, en se livrant à la petite guerre sur la frontière, d’agacer les Turcs jusqu’au point où ils déclareraient immanquablement la grande guerre, et la commenceraient aussitôt. La Grèce ne l’a pas compris. Un vertige s’est emparé de son esprit. Elle a tendu la pointe de son épée comme pour soutirer du nuage la foudre qu’il enfermait et qui est tombée sur son armée avec une violence terrible. Il y avait quelque chose de tragique, pour ceux qui étaient au fait des situations et qui connaissaient, à ne pouvoir s’y méprendre, l’inégalité des forces entre les Turcs et les Grecs, à voir ceux-ci se livrer contre ceux-là aux plus téméraires provocations. Ce qui devait arriver est arrivé. La guerre a éclaté, et elle n’a pas tardé à aboutir aux conséquences que nous avions annoncées.

Mais, une fois décidée, combien cette guerre a-t-elle été mal conduite, soit militairement, soit politiquement ! Il semble que toutes les fautes y aient été accumulées comme à plaisir. Nous ne reviendrons pas sur celle qui a consisté, de la part des Grecs, à éparpiller leurs forces sur une immense frontière allant de Volo à Prevesa, sans parler des trois mille hommes maintenus en Crète, en dépit de tout bon sens et de toute prévoyance. Bientôt la défaite est survenue. Elle s’est produite en deux actes principaux, dont le premier a eu pour