Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 141.djvu/438

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Autrefois, sous le premier Empire et au début de la Restauration, aucune école n’existait dans le village. Quelques garçons seulement étaient instruits par le curé de la paroisse qui les dressait aux offices de clercs. Peu d’hommes auraient été capables de signer leur nom[1] et les filles n’apprenaient rien du tout en dehors de la récitation du chapelet. Aux environs de la Révolution de 1830, un maître d’école vint s’installer dans le pays, et depuis lors l’instruction n’a jamais cessé d’être distribuée avec plus ou moins de régularité.

Des femmes d’artisans ou de maçons, venues des localités voisines, des sœurs de curés commencèrent tout d’abord à enseigner, d’une façon assez sommaire, l’alphabet à quelques fillettes privilégiées. Cet état de choses persista sans grand changement jusqu’à la troisième République, lorsque fut fondée l’école mixte actuellement existante et que dirige une institutrice.

La question de l’usage et de l’enseignement du français nous conduit tout droit à un sujet connexe, mais plus brûlant, celui du service militaire et de l’expatriation. L’ancien mode de servir, tel qu’il était établi par les lois militaires successivement en vigueur jusqu’à celle du 27 juillet 1872, s’accordait mal avec le tempérament des paysans provençaux.

Aussi lorsque approchait l’heure du tirage au sort, nos jeunes gens faisaient des miracles d’économie afin d’arriver à réunir une somme suffisante pour se racheter du service. Quoique notre localité, sans être bien pauvre, n’ait jamais passé pour riche, la proportion de jeunes gens qui recouraient autrefois à l’exonération ou au remplacement surprendrait, un statisticien[2]. Néanmoins l’heure du départ finissait par sonner pour quelques-uns et, hâtons-nous de le dire, nos peu belliqueuses recrues se transformaient promptement en assez passables soldats, disciplinés en actes, sinon en paroles, et trouvaient bientôt à quitter le service de compagnie pour se caser dans les fonctions auxiliaires, et surtout

  1. Avant la Révolution, notre modeste localité possédait un notaire. Il est clair que cet humble tabellion s’occupait principalement à dresser des baux ou quittances, à rédiger des conventions entre les agriculteurs illettrés du pays.
  2. Nous sommes en mesure d’affirmer que la paroisse, avec sa population moyenne de quatre cent trente à quatre cent cinquante habitans, n’a fourni, durant toute la période du second Empire, que deux jeunes soldats à l’armée française. Encore l’un de ceux-ci n’accomplit-il que peu de mois de service actif, soit par le bénéfice de son numéro de tirage, soit à cause d’un rachat subséquent, et l’autre homme, mort en Crimée, n’était parti pour faire son congé qu’à la suite de la faillite du « marchand d’hommes » auquel il avait confié ses économies.