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rive droite aux dépens du languedocien, mais il n’en est pas moins vrai que la classique langue des félibres s’altère rapidement à peu de distance des territoires où Mistral a placé les principales scènes du poème.

Au contraire, si un linguiste étudie sur place les transformations du dialecte populaire en partant de la ville d’Aix et en rayonnant dans toutes les directions, il lui faudra parcourir, vers le nord, vers l’ouest, vers l’est, des distances considérables pour arriver en fin de comptée surprendre d’assez médiocres variantes, plus souvent imputables à des nuances d’intonation ou à des tournures de phrases, qu’à des changemens de mots ou de syntaxe. En somme, le vrai langage provençal, l’idiome u moyen » est, on peut le dire, celui de l’arrondissement d’Aix ; s’il n’a pas été choisi pour traduire les idées des poètes, cela tient à l’origine « rhodanienne » des promoteurs de la renaissance de la langue, et ceux-ci, du reste, jugèrent avec raison que, toujours compris dans la Provence orientale, leurs expressions, leurs idiotismes artésiens conviendraient mieux aux auditeurs ou lecteurs d’une partie du Languedoc.

Peu éloigné de la ville d’Aix, notre petit village s’exprime comme sa capitale administrative, dans un parler qui n’est pas dépourvu de grâce, ni de piquant. A ceux qu’intéressent les questions de ce genre, nous dirons que cette branche du provençal se signale par l’abus des diphtongues accumulées et par l’usage de la terminaison en ien pour remplacer la rime française en « ion »[1].

Jusqu’à ces dernières années, l’usage de la langue française s’était bien peu répandu, au point que tel vieillard, incapable de s’exprimer dans la langue nationale, narrait en patois les péripéties de ses sept années de service, ses étapes en Flandre et en Bretagne. C’est dire que jadis le conscrit, de retour au pays, oubliait invinciblement le français qu’il avait été bien forcé d’apprendre. Même des petits propriétaires, capables de dialoguer en français, préféraient faire usage de la langue populaire, d’ailleurs très mordante et se prêtant parfaitement à la plaisanterie.

  1. Un Méridional étranger au pays prononcerait difficilement certains mots comme buoù, bœuf (le premier u résonnant presque comme eu ; le second ù accentué équivalant à ou, suivant l’orthographe félibréenne adoptée dans tout le cours de ce travail). L’article pluriel, li, lis, que les classiques conforment au dialecte d’Arles, devient ici lei, leis. Sur les bords du Rhône on traduit « commission » par commissioun. Toute la Provence centrale dit coumissien. On emploie même quelquefois le mot Lien pour désigner la ville de Lyon.