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placées sur la limite de deux héritages voisins ne s’harmonisaient guère entre elles.

Une pareille disposition offrait plusieurs avantages : au lieu d’un défoncement complet à la charrue, le creusement à bras d’un simple fossé correspondant à deux files jumelles suffisait parfaitement et on pouvait compenser pour la terre déplacée le défaut de largeur par un accroissement de profondeur. Dans les 4 à 6 mètres de l’intervalle vide, le paysan semait du blé ou de l’avoine, plantait des amandiers ou cultivait des légumes. La vigne profitait du peu d’engrais que recevaient les céréales ou les autres cultures intercalaires et bénéficiait du labourage plus ou moins superficiel nécessité par leur établissement. Mais à cela près, elle ne recevait jamais ni fumier, ni engrais chimique.

L’intervalle qui séparait les pieds successifs d’une même file ne permettait pas à une bête de trait de traverser la rangée, et, de même, le passage était impossible entre les deux alignemens contigus. Tout le travail de binage s’exécutait à la main, au pied même de la souche et s’opérait, en pratique, d’une façon plus que sommaire. On se contentait d’ordinaire de quelques coups de bêche au printemps. Lorsque venait l’été, les malheureuses souches devaient forcément se débrouiller à leur fantaisie, car les travaux de la moisson et les interminables occupations du dépiquage sur l’aire empêchaient qu’on se préoccupât de les nettoyer.

Conformément à la routine séculaire de la rive gauche du Rhône, le vigneron aixois plantait au hasard un mélange des cépages les plus divers. Le Morvèdre côtoyait le Grenache et le Plant d’Arles (ou Cinsaut) ; l’Ugni noir et l’Œillade fraternisaient avec la Clairette, le Pascal blanc, l’Ugni blanc et le Colombaud. Fruits de toute espèce, de toute nature, se recueillaient pêle-mêle et se mélangeaient dans la cuve. Une semblable pratique paraît barbare au premier abord; néanmoins, quand on la discute, on observe qu’en fait les inconvéniens en étaient bien atténués par cette circonstance, qu’à l’exception du Cinsaut, tous les raisins mentionnés ci-dessus mûrissaient en même temps et fort tard. Aussi les vendanges, commencées à la fin de septembre, se terminaient-elles souvent en octobre. Ecrasées par les jambes nues des fouleurs, les grappes fermentaient tout à leur aise durant des semaines entières; on ne décuvait guère qu’en novembre, après les semailles. Vu l’heureux choix des cépages, les raisins, intelligemment cueillis, foulés et fermentes, eussent fourni un vin