Au printemps de 1871, les paysans de notre village, voyant bourgeonner leurs vignes, constatèrent, non sans surprise, un sérieux affaiblissement dans la vigueur des souches. On attribua cette dépression aux froids rigoureux de l’hiver de la guerre et on ne s’en préoccupa plus. On s’illusionnait sur l’importance des dégâts, car on se trouvait en présence du phylloxéra, encore mal connu, qui commençait à exercer ses ravages. La maladie, dans toute la plénitude de son expansion presque illimitée, tailla dans le vif: quatre ou cinq ans plus tard, à peine restait-il dans le pays quelques souches éparses indiquant le contour des lisières des anciennes plantations, lisières qui furent, non pas respectées, mais tant soit peu épargnées dans l’universelle destruction. Ainsi, une décharge d’artillerie, bien dirigée contre une troupe, pulvérise le centre sans faucher la totalité des hommes placés sur les ailes. Quelques propriétaires s’acharnèrent à défendre leurs vignobles par le procédé Faucon, consistant, comme on sait, à nouer en hiver les vignes malades; mais, soit que le mal fût alors plus difficile à conjurer qu’il ne l’est devenu depuis, soit plutôt que le dommage extérieur n’eût inquiété qu’à la suite de ravages internes déjà irréparables, ils échouèrent dans leurs efforts. Essayé plus tard, le sulfure de carbone, appliqué dans les conditions difficiles ne donna en général que des résultats douteux. Mais les quelques vignes plantées ou replantées dans les sables voisins du lit de la Durance ont vécu et auraient pu donner lieu à d’excellentes spéculations, sans les fréquentes invasions de mildew qui éprouvent principalement, on ne l’ignore pas, les ceps des terrains bas et humides.
Revenons en arrière. Dans le Bas-Languedoc, le Bordelais, le centre et l’est de la France, la nécessité de la culture intensive de l’arbuste d’une part, ou les convenances locales d’autre part, restreignant les vignobles à certains points favorisés, avaient fait adopter les plantations dites « à plein », c’est-à-dire l’exclusion de toute culture étrangère pour les terrains plantés en vigne. Mais en Provence, où la vigne croissait presque sans soins et pouvait prospérer à peu près partout, on avait recours à la plantation dite « en oulières ». A deux rangées de vignes parallèles et accolées (éloignement 75 centimètres ou 1 mètre) succédait un assez large intervalle vide, puis encore deux rangées voisines, et ainsi de suite. Il est clair que cette disposition ne se développait avec régularité que dans les terres suffisamment vastes et que les « oulières »