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longtemps, mais se terminait par des chants plus bruyans que justes, où se mêlaient un excellent provençal et un atroce français, puis par de joyeuses farandoles, vagues réminiscences des vieilles mœurs agricoles chantées par le poète de Maillane. Pour diverses causes, et surtout à raison de l’économie de bras réalisée par les machines, c’est à peine si quelques travailleurs des villages voisins viennent seconder aujourd’hui dans leur travail les ouvriers locaux, à l’époque de la moisson.

On n’ignore pas qu’en Provence, de temps immémorial, les cultivateurs, pour séparer la paille du grain ont « foulé » le blé sur des aires, au lieu de le battre avec des fléaux comme dans la majeure partie de la France. Le plus antique et aussi le meilleur procédé de foulage consistait à étendre les gerbes sur une « aire » aplanie, durcie, souvent pavée, toujours bien découverte et exposée aux vents; puis, le paysan, armé d’un grand fouet, excitait les mulets qui tournoyaient en cercle, les yeux bandés, et triturant les épis de leurs sabots, accomplissaient lentement, mais proprement, le travail de séparation. Sous les couches de paille à peine froissée, se trouvait le grain encore imparfaitement nettoyé. On achevait de l’isoler par le vannage, qui se pratiquait dans de grands tamis, suspendus dans un coin de « l’aire » à trois perches entre-croisées. Les plus petits résidus s’échappaient à travers les trous du tamis ; puis l’ouvrier, par un mouvement, assez difficile à bien exécuter et non dépourvu de grâce, faisait tourbillonner le contenu de son tamis. Plusieurs fois renouvelée, l’opération finissait par donner un superbe produit fort apprécié sur le marché d’Aix.

Lorsque venait le soir, le fermier, un des valets ou journaliers, ou quelquefois le « maître d’aire », payé par le propriétaire pour aider le fermier tout en veillant à ses propres intérêts, s’improvisait une tente au moyen d’un bourras (sorte de drap grossier) et de quelques piquets plantés dans le tas de paille. L’homme, secondé par un chien et armé d’un vieux fusil rouillé, passait la nuit sur « l’aire », pour veiller aux risques éventuels d’incendie et garder le blé contre les voleurs.

Le travail des aires, s’accomplissant lentement à une époque de l’année où les paysans et leurs bêtes sont peu occupés, n’occasionne pas grand débours. Aussi l’emploi des batteuses a-t-il été moins généralement accepté que celui des moissonneuses. Néanmoins les « aires » antiques ont dû subir, elles aussi, la loi