Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 141.djvu/413

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tue, ce sont les remèdes. Ce qui blesse, ce sont les entraves. Brisons-les, et le bonheur régnera sur la terre. Brisons sans craintes. De cet arrière-plan doux et poli, de ce pont ruiné, du village autour de ce château de rêve, ne peuvent venir que de tendres violoneux, de Lancret, que des vieillards bénissans, de Greuze...

Ce sont des sans-culottes qui sont venus. Ils ont saccagé le château, bu les bouteilles, incendié les meubles, égorgé les serviteurs, emmené les maîtres en otages, pillé, brûlé, souillé, et la guillotine a fait le reste. Les feuilles de ces paysages n’étaient pas bleues, comme le prétendaient les peintres. Les âmes de ces paysans n’étaient pas sensibles, comme les peignaient les philosophes. L’erreur des peintres est de moindre importance au point de vue social que l’erreur des philosophes, mais il est à noter que les deux vont ordinairement ensemble. Aux époques où l’on voit faussement les couleurs répandues sur les épidermes, il est rare qu’on voie bien juste les sentimens cachés au fond des âmes. Il faut trembler quand, par gageure ou par morbidité, la littérature et l’art déforment systématiquement notre vision de la vie. On se contente de sourire quand les peintres nous montrent des chevaux violets, des joues verdâtres, des arbres rouges et des neiges jaunes. On sourit encore quand les poètes décident que le ciel n’a que la couleur que lui prête notre état d’âme :


Depuis qu’il n’est plus bleu, nous voulons qu’il soit vert...


Mais lorsque les psychologues s’avisent d’imiter les peintres, lorsque la peur des banalités les précipite dans de continuels paradoxes et le respect humain de l’enthousiasme, dans une perpétuelle ironie; lorsque, déformant et décolorant toutes les notions de la vieille morale, ils appellent les assassins des « impulsifs » et les saintes des « hystériques », la spoliation une « reprise individuelle » et le vol de la « kleptomanie »; lorsqu’on ne veut plus croire au bleu du ciel, ni au vert des plantes, ni au dévouement des femmes qui font la charité, ni à l’héroïsme des soldats qui font la guerre, alors on ressemble aux sophistes du XVIIIe siècle. On n’est point capable de beaux tableaux dans la vie sociale, pas plus que de beaux paysages dans l’Art. On a méprisé la lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde. La fin est proche. Et l’ombre se fait. Comme nous touchons au XIXe siècle, les fonds se rembrunissent. Derrière les têtes, les fenêtres se referment. La nature disparaît de nouveau, ou plutôt elle sera laissée