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pler, rendues curieuses parle scandale de son procès. Catherine dit une prière, et, sans fureur poétique, composa une élégie : ce fut tout son deuil. Elle sauva sa vie « sans fléchir devant Baal. » Louant Dieu et résignée au martyre, elle rejoignit sa mère à la Rochelle où la cour espérait voir le dernier soupir de la Réforme. Sa muse lui dicta, avec l’aide de Viète sans doute, une tragédie d’Holopherne dont la représentation éleva les courages et les cœurs. Aucune des belles puritaines enfermées avec Catherine n’osa cependant imiter la conduite admirable et insigne de la bonne dame Judith. On se méfiait d’ailleurs au camp catholique, et, sans leur faire affront, on aurait prié ces dames de déposer les haches et les poignards dans l’antichambre. Ce genre de succès, cependant, ne manqua pas à Catherine. Des soldats prirent leur passe-temps à une parodie sanglante qui réussit fort bien. Le 20 juin 1573, plusieurs soldats assiégés, étrangement déguisés en femmes pimpantes et atourées, avec clinquans, broderies, et riches accoutremens, sortirent de la ville, se dirigeant vers la mer, en passant à petite distance d’un corps de garde, dont les soldats, ébahis d’une telle aubaine, accoururent en désordre. Fuyant comme Galatée, la troupe se laissa prendre. Sortant alors les armes cachées sous leurs robes, les viragos tuèrent bon nombre de leurs ravisseurs, les autres se rendirent à merci, et chaque fausse Judith rentra à la Rochelle avec un Holopherne prisonnier. L’année suivante, Catherine épousa le frère de son amie Françoise, qui l’aimait depuis longtemps. Elle était trop grande dame et trop riche pour un cadet de famille, si ancienne et illustre que fût sa race. L’un des frères de René fut tué à la Saint-Barthélémy, un autre mourut sans héritier, ne laissant qu’une fille. Catherine consentit alors à devenir vicomtesse de Rohan, princesse de Léon, baronne de Guéménée, cousine de Henri III, et tante de Henri IV. Le mariage, célébré à la Rochelle, fit luire sur ces jours de tristesse un pur rayon de joie. Catherine, veuve après dix ans de mariage, resta mère de cinq enfans dont elle était fière. Son fils aîné fut Henri de Rohan, général turbulent et rebelle, mais habile et brave à la guerre, chef sous Louis XIII du parti protestant. On admirait à la cour de Henri IV la bonne grâce et la beauté des demoiselles de Rohan. Bassompierre a parlé d’un ballet où il faisait beau voir la jeune Catherine, belle entre les plus belles, ravir toute la cour par sa belle façon de danser, et se faire applaudir par le roi qui fit recommencer le branle. On n’avait souvenir ni d’un tel honneur