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FRANÇOIS VIÈTE.

pas comme les autres, car le moindre pauvre qui soit ici y a intérêt, puisque nous combattons pour la liberté de nos consciences, et pourtant je vous supplie au nom de Dieu, de ne le point faire, et ai une ferme foi qu’il vous secourra par quelque autre moyen. »

Quand le sieur de Soubise vit cet homme de bien parler ainsi, il lui dit : « Encore que, s’il advient du mal en le faisant, je fasse tort à ma réputation, et qu’on dise que je n’aurai pas fait devoir de capitaine, si est-ce que sous votre parole, je le ferai, ayant assurance que Dieu bénira ce que je fais, » et personne ne fut mis hors de Lyon.

Soubise, épuisé par les blessures, les fatigues et les privations du siège, revint au Parc, ferme et courageux, presque triomphant devant la mort. « La semaine avant qu’il mourût, envoyant un gentilhomme près d’un de ses amis, qui était catholique, comme le gentilhomme lui demanda en partant s’il ne voulait plus rien lui commander, il lui dit, tout aussi en riant que s’il eût parlé de quelque voyage qu’il eût eu à faire : « Dites à M. de Martigues que s’il veut mander quelque chose eu paradis, que je suis près d’y aller » ; et comme le gentilhomme montrait être fâché qu’il lui avait tenu ce langage, le sieur de Soubise lui dit : « Ne faillez pas à le lui dire, et que je lui mande cela parce qu’il ne saurait trouver messager plus assuré que moi, et que s’il y a quelque affaire, qu’il faut bien qu’il la commette à un autre, pour ce que, quant à lui, il n’ira jamais ; mais qu’il se hâte, car je suis pressé de partir. » La dame de Soubise continuait aux réfugiés protestans sa généreuse hospitalité. Pour les protéger, une garnison était plus nécessaire que jamais. Les lansquenets et les reîtres, impatiens d’aventures, avides de combats et désireux de pillage, murmuraient dans l’oisiveté. Viète n’était pas homme d’action. Il fallait un chef et un maître. On se décida à marier Catherine, qui n’avait pas encore quatorze ans ; les filles étaient hors de tutelle à douze ans, plus tôt que les garçons, pour ce que toutes malices croissent et se prouvent plus tôt en femmes que en hommes. Sa mère cependant décidait sans appel ; et toute résistance était inutile. La dame de Soubise citait à sa fille l’exemple de Jeanne d’Albret, son amie, qui, au même âge qu’elle, avait refusé en vain d’épouser Guillaume III de Clèves, prince fort déplaisant et mal famé. François Ier, pour s’en faire un allié, lui avait promis sa nièce. On la fouettait tous les matins sous les yeux de sa mère dont l’esprit abstrait, ravi et extatique y comme dit un vers célèbre,