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FRANÇOIS VIÈTE.

ceux qui nous ont amené ce nombre effréné de collèges a été bonne ; mais l’expérience fait voir que les effets en sont très pernicieux. Les sciences, ajoute l’anonyme, ne sont bonnes que pour les grands esprits. Si elles en polissent quelques-uns, elles en affaiblissent mille autres. Si, dans un bourg, quelqu’un a appris à écrire et trois mots de latin, soudain il ne paye plus la taille, ne veut être soldat, marchand, artisan ou laboureur, dédaigne les arts mécaniques, devient ministre de chicane, procureur, tabellion ou sergent, et par ce moyen, ruine ses voisins. » Le père de Viète devint procureur ; il voulut, comme son père, faire instruire ses enfans. Le petit François commença, ainsi qu’on faisait alors, par apprendre le Caton, recueil de sentences latines bien choisies que les enfans, à force de les épeler, de les lire, de les relire, de les copier, de les réciter, de les entendre citer, de les chanter peut-être, finissaient par comprendre à peu près et par savoir imperturbablement. Le Caton donnait aux enfans, pour toutes les circonstances de la vie, de sages conseils qu’ils suivaient rarement ; s’ils les avaient suivis, au lieu de cinq cents éditions connues du célèbre livret, il aurait fallu en faire dix mille. Viète y avait appris que chacun doit vivre dans la condition où il est né, et, loin des agitations ambitieuses, conduire sa barque sur de modestes ruisseaux :

Tuta mage est puppis modico quæ flumine fertur.

Il fit tout le contraire et traversa cette orageuse fin de siècle, en compagnie des plus grands personnages, sur des esquifs battus par la tourmente.

Son père l’envoya chez les Cordeliers de Fontenay, qui, sans transformer leur couvent en collège, instruisaient volontiers les enfans, riches ou pauvres, désireux de savoir et d’apprendre. Une aumône payait chaque leçon. La règle permettait l’ignorance, la conseillait même, mais ne l’imposait pas ; quand la besace était pleine, on tolérait la culture des lettres. On citait des moines fort doctes ; c’est aux Cordeliers de Fontenay que Rabelais, « commencement de moine, enfumé et parfumé de misère, et mal voulu des bons pères mendians, s’était dégoûté de moinerie et d’ichtyophagie. » S’il avait conservé le froc, c’est lui peut-être, les dates le permettent, qui aurait enseigné au petit Viète la langue grecque qu’il possédait en excellence. D’autres en son lieu l’y instruisirent. Pour Les mathématiques, Euclide, Archimède et Apollonius furent ses