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le zèle de la prédication et de la propagande doit pouvoir s’exercer en dehors même du presbytère et de la paroisse. Qui ne sait aussi que, par suite du même développement, le douloureux problème de l’inégalité des conditions est incessamment agité devant l’esprit de ceux qui en souffrent ? Je suis loin de penser, comme quelques-uns le croient à force de le désirer, que la religion ait, pour dissiper ce malaise croissant dont notre société est atteinte, un remède souverain et presque magique, et aucune illusion ne me paraîtrait plus dangereuse à entretenir pour l’Eglise elle-même, qui serait justement accusée plus tard d’avoir préparé l’amère déception dont l’effet ne serait pas long à se faire sentir. Mais tout au moins peut-elle espérer qu’en éveillant la conscience des uns, en calmant l’irritation des autres, elle amènera cette réconciliation des classes et des intérêts en présence, dont elle seule peut avoir le secret. Quel nouveau champ d’activité pour ceux qui parlent en son nom ! Et que Léon XIII a été bien inspiré en le leur indiquant dans son Encyclique fameuse De conditione opificum ! Seulement quel moyen de parcourir ce vaste champ en sécurité, quand, pour une parole tombée du haut de la chaire et ayant trait à quelque question du jour, on peut être mis en cause comme s’étant mêlé indûment de politique, et quand toute association formée sous une invocation pieuse pour rapprocher riches et pauvres, patrons et ouvriers dans une communauté d’efforts et de sentimens, si son action et surtout son succès éveillent les ombrages du pouvoir ou la haine des partis révolutionnaires, peut être frappée d’une dissolution immédiate?

Je me rappelle, au sujet de ces rapports qu’il est important pour l’Eglise d’entretenir et d’étendre avec les classes laborieuses et populaires, une séance très intéressante qui eut lieu à Paris, il y a peu d’années. Le célèbre prélat américain Mgr Ireland, venant de Rome, honoré, nous disait-on, de la confiance particulière du Saint-Père, harangua tous les catholiques, prêtres et fidèles, sur les devoirs de l’activité chrétienne dans le temps actuel, leur reprochant, aux uns comme aux autres de rester enfermés dans une sphère étroite et de ne pas savoir comme leurs coreligionnaires, ses compatriotes, aller directement au peuple. Je fus ému comme tout le monde de cette chaude éloquence, mais je me demandais pourtant tout bas si l’orateur connaissait bien les conditions de l’auditoire auquel il s’adressait, s’il ne se croyait pas encore à New York ou à Baltimore, présidant un meeting populaire,