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se fondent sur aucun texte légal, qu’aucun exemple, dès lors aucun précédent, ne serait suffisant pour le justifier, et qu’aucun de ceux qu’on va chercher dans les plus mauvais jours du temps passé ne peut, même par voie d’assimilation ou d’analogie, être présenté comme une excuse. A quoi bon répéter ce qui a déjà été dit sous tant de formes sans qu’une ombre de réponse y ait été faite? C’est dans cette Revue surtout qu’il serait inutile de reprendre une tâche qui y a été déjà remplie, avec tant de compétence et de supériorité[1]. Trêve donc aux paroles oiseuses : c’est l’arbitraire à l’état pur. Laissons passer puisqu’il a la force en main ; c’est bien assez de le subir, ce serait lui faire trop d’honneur que de le discuter.

Mais, si le principe de cette odieuse mesure, ou plutôt son défaut absolu de principe ne peut supporter un instant d’examen, les effets sont palpables, tangibles, et on ne peut les regarder sans rougir. Quand c’est un cardinal ou un évêque que vise cette mesquine persécution, c’est une insolence gratuite, car, Dieu merci, il reste encore en France assez de sentimens de piété, ou, à défaut de piété, de décence, pour qu’un découvert de quelques mille francs dans cette caisse épiscopale déjà si réduite, et qui ne sert qu’à des œuvres de bienfaisance ou d’utilité générale, soit rapidement comblé. Mais quand la main de l’administration s’étend sur le pauvre desservant d’une petite paroisse rurale, c’est le nécessaire même de la vie, et le pain de la bouche qu’on lui retire : c’est par la famine qu’on met sa conscience et sa dignité à l’épreuve, ou plutôt à la torture : on lui inflige l’humiliation de demander secours à ses paroissiens, au lieu de leur venir en aide, et pour le réduire à cet état il suffit habituellement de la dénonciation d’un maire hostile, ou même de l’orateur en renom dans l’estaminet du village. En vérité, cette menace de la suspension de traitement est un artifice merveilleusement trouvé, dont il est

  1. Voir l’étude de M. Picot sur la Pacification religieuse, dans la Revue du 1er juillet 1892.
    M. Picot discute avec soin tous les précédens qu’on a invoqués pour justifier la suppression des traitemens, et démontre qu’aucun n’est applicable à la situation présente. Dans l’ancien régime, la saisie du temporel, qu’on y a assimilée, n’était prononcée que par une sentence judiciaire sur des cas déterminés d’avance. Sous le premier empire, la suspension de traitement fut appliquée comme une de ces mesures de haute police dont Napoléon se réservait le droit d’user, et qui comprenaient au même titre la détention arbitraire et le bannissement. Enfin, sous la monarchie de 1830, la mesure ne fut appliquée qu’un très petit nombre de fois, pendant la guerre civile de Vendée, contre des ecclésiastiques qui y avaient pris part et le plus souvent quitté leur résidence.