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révoqué dès le mois de janvier de cette année; les bannis napolitains rentraient l’un après l’autre, et son père l’engageait à suivre leur exemple, à venir remercier Ferdinand II d’avoir fait grâce à ses imprudences. Si Naples l’attirait peu, pourquoi emmener à Rome son cher malade, qui lui donnait tant de souci? On n’y envoie guère les poitrinaires, et il est en Italie des climats plus doux. Leopardi avait passé une saison à Pise ; il s’en était si bien trouvé qu’il qualifiait cette ville de paradis terrestre. Ce fut à Rome qu’on alla, et non à Pise. Voulez-vous en savoir la raison? Un savant professeur, M. Piergili, a révélé naguère ce secret : Rome avait sur Pise cet avantage que Ranieri était sûr d’y retrouver Mme Pelzet, qui y passa tout l’hiver. Leopardi ne le suivit qu’à contre-cœur; ce n’était pas de Mme Pelzet qu’il était amoureux, et dans cette occurrence ce fut lui qui se sacrifia. Le 31 décembre 1831, il écrivait à son frère Charles : « Venir et demeurer à Rome a été pour moi le plus grand des sacrifices, et tout ce que je gagne à ce séjour est de ruiner mes finances. » Comment croire après cela qu’il fût entretenu par l’ami parfait?

Ranieri avait perdu sa mère, qui l’avait toujours gâté, et son père le rappelait ou, pour mieux dire, le sommait de rentrer au bercail. Ce père, qui avait un emploi élevé dans l’administration des postes, commençait à trouver que son fils était un homme compromettant ; il l’adjurait de renoncer à la vie d’aventures, de ne plus bouder son pays et son roi. Aussi bien ce beau garçon au pied léger, et qui aimait trop les femmes, lui coûtait fort cher. Antonio a prétendu qu’il avait ménagé avec beaucoup de délicatesse les écus que sa famille mettait à sa disposition ; mais il s’est vanté aussi d’avoir dépensé dans ses voyages jusqu’à 150 000 livres. Cela prouve qu’il avait, selon les cas, tous les genres de vanité. Bref, on le menaça de lui couper les vivres. Il fit sa soumission, partit pour Naples, où il sonda le terrain et prit langue; mais il n’entendait y rester que si Leopardi venait s’y fixer avec lui, et il retourna le chercher à Florence.

Il paraît avoir eu de la peine à le décider. Leopardi eût volontiers fini ses jours en Toscane, et Naples ne disait rien à son cœur. Je me souviens d’avoir lu dans le recueil de ses Pensées que cette ville délicieuse est une prison où l’on crève d’ennui, et qui ne lâche pas ses prisonniers. Il disait aussi que dans ce pays presque africain, mi-barbare, mi-civilisé, il est également dangereux d’être riche ou d’être pauvre : passez-vous pour pauvre, on vous méprise; passez-vous pour riche, on vous vole ou on vous assassine. Il faut pardonner les injustices aux malades ; elles les soulagent. Mais ce qui le retenait surtout à