de bonne foi? Sa rhétorique lui faisait-elle illusion? Il y a des hommes qui se persuadent comme par enchantement tout ce qu’il leur plaît de croire. Cependant il est difficile d’admettre que ce Napolitain ait toujours été dupe de son imagination méridionale. On trouve dans son Sodalizio des récits qui ressemblent à des fictions fabriquées de toutes pièces par un rhéteur auquel tous les moyens sont bons pour gagner sa cause, et on se souvient en les lisant qu’il a été dans son âge mûr un avocat habile et retors.
Leopardi avait pris sa ville natale en exécration. Recanati était pour lui « un lieu horrible et inhabitable. » Devenu le plus frileux des hommes, il reprochait à « cette sale cité, questa porca città », la dureté de son climat et la neige qui tombait parfois sur ses montagnes ; il lui reprochait aussi ses habitans, dont il disait qu’il était difficile de décider s’ils étaient plus ânes ou plus coquins, più asini o più birbanti.
Durant les vingt-quatre années qu’il avait passées dans la maison paternelle, sa seule joie avait été de s’enfermer entre les quatre murailles d’une vieille et riche bibliothèque, où il avait acquis cette vaste érudition qui étonna Niebuhr. Il s’était enseveli-dans les livres ; mort au monde, il avait vécu avec les morts. Recanati était à ses yeux un endroit où l’on ne pouvait vivre, mais où il faisait bon mourir. « Mon cher Puccinotti, écrivait-il de Florence en 1827, je suis las de la vie, las de l’indifférence philosophique, qui est le seul remède à nos maux et à notre ennui, mais qui finit par devenir elle-même un ennui. Je resterai ici jusqu’au milieu d’octobre; puis j’irai à Pise, que sais-je? ou à Rome. Si je me sens gravement malade, je partirai pour Recanati, voulant mourir au milieu des miens. » Mais tant qu’il vivait, il voulait vivre avec les vivans. Il devait à cet effet se procurer quelques ressources, un gagne-pain. Maître de langues, répétiteur, il était prêt à faire tous les métiers ; mais quel métier peut-on faire quand la santé est perdue ? A l’instigation du général Colletta, quelques-uns de ses admirateurs de Toscane eurent l’heureuse idée de se cotiser et de le pensionner pendant un an, à la condition qu’il travaillerait et écrirait. Il était très économe, très attentif à ménager ses pauvres sous ; cette cigale vivait de peu : cinq louis par mois, elle n’en demandait pas davantage pour joindre les deux bouts.
Or Ranieri rapporte et dépose qu’un soir, dans l’hiver de 1830, il trouva son ami plongé dans une sombre et inconsolable tristesse, qu’il le pressa de questions, que le malheureux poète garda quelque temps un morne et obstiné silence, qu’enfin son secret lui échappa, qu’il s’écria : « Recanati et la mort sont tout un pour moi, et avant peu de