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pour être gardées au Palais et instruites dans les rites et dans la langue mantchoue ; quelques mois plus tard, un décret annonça qu’une impératrice et deux princesses-épouses avaient été désignées : ce décret et quelques détails des cérémonies nuptiales montrent qu’à la différence de ses sujets, l’Empereur a trois épouses rituelles ; l’Impératrice a la première place ; mais, malgré ses honneurs et son titre, choisie comme les concubines, elle n’est que la première d’entre elles ; l’éclat de son rang se perd dans le rayonnement de son époux et, si l’infériorité de la femme à l’égard du mari est plus grande chez les riches que chez les pauvres, l’inégalité est plus marquée encore dans le ménage impérial. Quant aux jeunes filles qui n’ont obtenu aucun des trois titres mis au concours, la plupart restent au Palais comme simples concubines; souvent le harem s’enrichit de femmes de toute provenance, suivant le caprice du maître ; les noms de toutes les concubines sont inscrits sur des fiches de jade confiées à un eunuque : lorsque l’Empereur retourne une fiche, le soir venu, l’eunuque de service va chercher celle qui est l’objet du caprice impérial et l’apporte, vêtue seulement d’un grand manteau rouge, dans la chambre du souverain; le cubiculaire tient registre des femmes entrées chez l’Empereur pour faire preuve en cas de besoin. Logées chacune séparément, vêtues, nourries, les concubines ont leur sort assuré, puisqu’elles ne quittent le Palais que dans leur cercueil : si quelques-unes, jouissant de la faveur impériale, ont, avec les satisfactions des sens, les triomphes de la vanité et le plaisir de l’influence, un grand nombre, inconnues du souverain, ou distinguées, puis négligées, mènent une triste vie, vaine et cloîtrée, dans les jalousies et les mesquines intrigues, en butte aux avanies des eunuques, ignorantes de tout ce qui existe hors des murs de la ville impériale, sans compensation intellectuelle, sans espoir d’être honorées par leurs descendans, puisqu’elles ne seront jamais mères, avec la crainte d’être quelque jour assommées à coups de bâton par les eunuques, si quelque imputation vraie ou fausse a irrité l’Empereur : triste condition, désespérée, et plus dégradée que celle des esclaves domestiques.


VI

Comme le Palais montre, dans la situation des concubines impériales, le dernier degré de l’abaissement de la femme, de