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ont quelque infirmité : le jour où elles ne peuvent travailler, elles n’ont d’autre ressource que la mendicité, car les asiles publics s’ouvrent de préférence aux veuves. Après le mariage, la vie d’une femme de cette classe n’est pas plus enviable qu’auparavant : une belle-mère pauvre est toujours plus âpre et plus violente qu’une autre, toute la famille vit entassée dans deux ou trois chambres, c’est le contact, ce sont les querelles de chaque heure; les coups ne manquent pas et tout le voisinage est fréquemment troublé des batailles et des injures auxquelles les femmes chinoises excellent.

La venue des enfans rend la misère plus grande et ne fait qu’empirer la situation; souvent les paysans, même ayant du bien, n’habillent pas leurs brus, qui sont réduites à mendier ou voler pour elles et leurs enfans, tandis que la piété filiale ferme la bouche du mari; parfois, au contraire, la bru sait prendre le dessus et, profitant de la vieillesse de la belle-mère, la fait périr de rage et de manque de soins. Il arrive aussi que, trop paresseux pour travailler, le mari vende sa femme, consentante ou cédant aux menaces, pour être servante ou concubine : bien qu’interdit par la loi, ce dernier contrat n’est pas rare; un mari loue même sa femme pour un temps fixé ; j’ai eu connaissance d’une transaction de ce genre, où un nouveau marié cédait pour trois ans tous ses droits sur sa femme à un homme privé de postérité, qui devait garder les enfans à naître de la femme louée.

Dans ces familles pauvres, si une femme jeune devient veuve, ou si son mari reste deux ou trois ans absent, les beaux-frères se débarrassent d’elle, en la remariant de gré ou de force; souvent, c’est la veuve elle-même qui, ne pouvant subsister avec ses enfans par son seul travail, cherche un nouveau mari; il s’en trouve facilement, car le mariage avec une veuve est économique, puisqu’il se fait sans cérémonies ni cadeaux; il n’est guère qu’une union de fait; lorsque de petits cultivateurs perdent leur fils unique, ils remarient eux-mêmes leur bru, l’époux vient s’installer chez eux et prend leur nom, car il faut un homme jeune pour labourer le champ. Les seconds mariages ont toujours été blâmés des moralistes, réprouvés par la loi, mais la misère ne tient compte ni de la morale ni du code.

Quant aux veuves sans ressources, elles ont l’asile public : depuis fort longtemps, il existe des asiles de vieillards, entretenus