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entre celle qui se borne à tenir sa maison en compagnie de ses filles et de ses brus, et celle qui peine pour gagner quelques sapèques et nourrir l’enfant qu’elle traîne avec elle; cependant, à y regarder de près, il n’y a là qu’une différence du plus au moins : l’une et l’autre sont séparées de la classe aisée par le vêtement, par l’éducation, bien plus, par la tenue et la règle de conduite; car la pauvreté ne permet guère de vivre dans cette demi-claustration réclamée par les mœurs. Toutefois la morale limite étroitement les formes de travail accessibles à la femme et règle sévèrement les rapports de celle-ci avec les diverses communautés extra-familiales qui forment la société.

Dès la naissance, une fille pauvre est exposée à plus de dangers que n’en connaît jamais la fille d’une famille riche : je laisse de côté les maladies, communes aux deux sexes et favorisées par le manque de soins sous un climat très rude, et j’arrive immédiatement à l’infanticide, qui fait surtout des filles ses victimes : une fille a trop peu d’importance aux yeux des Chinois pour que de pauvres gens, qui savent rarement, le matin, s’ils mangeront le soir, hésitent beaucoup à se débarrasser d’une bouche inutile ; en outre, le sort d’une fille pauvre est souvent tellement misérable que, si les parens y réfléchissaient, leurs derniers scrupules seraient levés; et enfin, la puissance paternelle est si absolue, malgré les empiétemens du code, que l’infanticide en est une conséquence naturelle. Il va de soi que, par les temps de disette et dans les régions pauvres, ce crime se montre plus fréquemment : c’est alors surtout qu’on « marie les petites filles aux esprits des rivières », à moins qu’on ne se contente de les abandonner ou de les porter aux orphelinats.

Pour répandue que soit cette coutume, il ne faut pourtant pas la croire universelle : les témoins les plus véridiques ont été souvent trompés par l’abandon d’enfans morts ou agonisans, qu’ils ont vus sur la voie publique et qu’on avait portés là, quand on ne pouvait plus les faire vivre; l’infanticide volontaire ou par négligence est bien trop fréquent, mais admettre qu’il est de règle, serait ressembler à ces Chinois qui sont persuadés que les religieuses arrachent les yeux et le cœur des enfans pour en faire des médicamens ou des objectifs photographiques; loin de l’encourager, les religions populaires, les autorités l’interdisent; si les orphelinats étrangers font un grand bien et sont dignes d’éloge, en nourrissant, élevant, mariant un nombre considérable