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réserve au coupable des châtimens futurs; on voit parfois une fiancée, dont le fiancé est mort avant le mariage, se considérer comme veuve et rester fidèle à sa mémoire : de tels faits sont rares, mais la voix publique les approuve et la morale officielle leur décerne ses diplômes et ses arcs de triomphe. Les fiançailles ont lieu souvent quelques mois avant le mariage, souvent aussi longtemps à l’avance, quand les intéressés sont en bas âge; il arrive même que deux amis, attendant chacun la naissance d’un enfant, les fiancent l’un à l’autre pour le cas où ils seraient de sexe différent ; de tels contrats il résulte quelquefois entre les deux enfans une intimité contraire aux coutumes et dont les effets peuvent être fâcheux : ainsi, il est venu à ma connaissance que, pareil contrat existant entre deux familles très bien posées d’une ville de la Chine centrale, le jeune fiancé, vers quatorze ou quinze ans, anticipa sur la cérémonie nuptiale, délit châtié par le code; mais on aime toujours mieux ne pas mêler le magistrat dans des affaires privées ; d’autre part, l’honorabilité des deux familles s’opposait à ce que le mariage eût lieu, la fiancée étant enceinte ; le frère aîné de celle-ci (le père était mort), en homme de principes, persuada à sa sœur de s’empoisonner; mais, comme le contrat de fiançailles devait quand même avoir son effet, la famille de la jeune victime, du consentement de l’autre famille, adopta une fille qui fut donnée en mariage au fiancé. Ce drame domestique montre non seulement la valeur que l’on attache au contrat de fiançailles, mais aussi la minime importance, en pareille matière, de ceux que nous tenons pour les principaux intéressés : l’engagement est pris par les chefs de famille, sans que les parens du jeune homme connaissent la jeune fille (toutefois, chez les Mantchous, elle leur est présentée après les fiançailles), sans que les jeunes gens soient consultés, sans qu’ils se soient jamais vus; la règle défend qu’ils se voient à partir de six ou sept ans et jusqu’au mariage : aussi, chez les chrétiens, qui célèbrent la cérémonie religieuse avant les rites domestiques, tandis que les deux fiancés sont côte à côte devant l’autel, le visage découvert, ils détournent la tête pour ne pas se voir, et le jeune homme ne parvient pas sans peine à passer, à tâtons, l’anneau au doigt de sa future épouse.

Le mariage chinois est avant tout l’introduction d’une jeune épouse dans la famille pour que le fils soit aidé par elle dans l’exercice des devoirs de la piété filiale ; c’est aussi l’alliance de