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salle des ancêtres, et non au temple, et l’on n’eût pas manqué d’appeler des tao chi (les prêtres taoïstes sont à moitié sorciers) pour exorciser les mauvais esprits, qui pourraient en vouloir à l’enfant, et des comédiens pour réjouir les hôtes : mais on se contente à moins de frais pour une fille.

Le nom de l’enfant est souvent choisi par son aïeule paternelle, d’après le premier objet qu’elle aperçoit après la naissance : une fille sera appelé « Joli nuage », par exemple ; vers sept ans, chez les lettrés et les gens riches, ce « nom de lait » est remplacé par un « nom d’école » renfermant une image flatteuse ou une allusion littéraire: ces noms sont employés couramment dans la maison durant les premières années de l’enfant; mais, un peu plus tard, seuls, les père et mère, les aïeuls, les professeurs peuvent les prononcer; toute autre personne ne saurait, sans inconvenance, même avoir l’air de les connaître : pour le public, — et le public comprend jusqu’aux frères, aux beaux-frères, aux beaux-parens, — une femme est, par exemple. Mlle Li, ou dame Tchang née Li, ou sœur aînée, sœur cadette, bru, aussi bien quand on s’adresse à elle que quand on parle d’elle ; dans le peuple, les noms de belle-sœur ou de tante sont usités en parlant à presque toutes les femmes du village. Le mari même n’emploie jamais ni le nom d’école, ni le nom de lait de sa femme : il dit mon épouse, ou madame; chez les gens du commun, mari et femme s’interpellent à la troisième personne : « Elle ! Lui ! » car la seconde personne est tenue pour inconvenante. La personnalité d’une femme est quelque chose de tellement intime que, même pour les beaux-parens, même pour le mari, elle ne peut s’exprimer par un nom propre qui en soit, pour ainsi dire, le symbole : l’emploi du nom personnel serait une inconvenance, détruisant la barrière que la morale élève entre la femme et le monde extérieur, diminuant le respect que les principes confucianistes exigent entre époux: aux yeux de presque tous, la femme est épouse, ou bru, ou belle-sœur, et sa personnalité disparaît dans sa fonction familiale; même après la mort, c’est à titre d’épouse et de mère que son âme, renfermée dans la tablette funéraire, entrera parmi les ancêtres. Au contraire, les divers noms de l’homme sont prononcés et écrits avec plus ou moins de respect, suivant des règles spéciales, mais sont dans le domaine public. On n’emploie couramment le nom personnel que des femmes de condition dépendante, servantes, esclaves, concubines ; d’autre part, si les concubines