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« … Il n’est de naturaliste digne d’estime que celui qui sait nous peindre ou nous représenter l’objet le plus étranger, le plus singulier, avec sa localité, avec tout son voisinage, toujours dans son propre élément. Que j’aimerais à entendre, du moins une fois, Humboldt racontant ses voyages !… »

Ces disparates s’étendent comme des taches sur une œuvre qui sans elles serait un chef-d’œuvre, lui imposent et lui maintiennent ce caractère commun à presque toutes les compositions de Gœthe, même aux meilleures, de demeurer inachevées malgré les soins qu’il y a mis, de rester imparfaites malgré l’effort et quelquefois l’affectation de perfection qu’elles trahissent, de conserver toujours le cordon qui les joint à leur créateur et leur enlève une part de leur vie propre. Et c’est peut-être la juste peine de ce que les uns appellent son universalité, les autres son dilettantisme : un poète qui a reçu le don supérieur de créer ne peut impunément renoncer à l’exercer pour disperser son génie en tant d’objets divers. Il se diminue, à force d’accrocher à tous les buissons qui bordent son chemin des parcelles de soi-même : il manque le chef-d’œuvre dont il possédait tous les élémens et que sa plus grande erreur a peut-être été de poursuivre avec trop de clairvoyance.


EDOUARD ROD.