Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 141.djvu/148

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

médiocrité générale ; on y joua, comme sur les autres scènes de l’Allemagne, d’abondantes pièces d’Iffland et de Kotzebue, des opéras et des pièces littéraires qui figuraient d’ailleurs à bien d’autres répertoires : Minna de Barnhelm, — Emilia Galotti, — les Brigands, — Intrigue et Amour, — Don Carlos, — Egmont, — les Complices, — le Grand Cophte. En fait de tentatives de quelque hardiesse ou vraiment difficiles, on ne peut relever que les représentations de quatre drames de Shakspeare : Hamlet, les deux parties de Henri IV et le Roi Jean. Les études de cette dernière pièce donnèrent lieu à un incident amusant. Le rôle d’Arthur avait été confié à la toute jeune et charmante Christiane Neumann, fille orpheline de l’acteur de ce nom, dont tout Weimar était enchanté, Gœthe particulièrement. A vrai dire, l’enthousiasme qu’elle excitait ne lui valait point au théâtre une situation privilégiée, du moins au point de vue pécuniaire, car, entre elle et sa mère, elles recevaient cinq thalers par semaine. Mais on lui confiait de jolis rôles, auxquels on la préparait avec une sollicitude attendrie. C’est ainsi que le rôle d’Arthur devint la grosse affaire, le « clou » du drame shakspearien. Et l’on raconte qu’aux répétitions, comme la petite Christiane ne témoignait pas assez d’effroi dans la scène de l’aveuglement, Gœthe saisit le fer que tenait l’acteur qui jouait Hubert, et se précipita sur elle avec des yeux si terribles, qu’elle s’évanouit. En retrouvant ses sens, elle put voir son directeur agenouillé devant elle, si ému, qu’il lui donna un baiser. De tels incidens ne manquent pas de grâce ; ils rompaient la monotonie de l’existence weimarienne, et fournissaient sans doute une riche matière aux papotages de la petite cour comme aux commentaires des honnêtes bourgeois ; mais ils ne constituent point des événemens littéraires, et ne rentrent guère dans le programme de la régénération de la scène allemande qu’on peut trouver si largement développé dans Wilhelm Meister. Gœthe s’en rendait compte : bien que dans ses Annales, il parle du théâtre de la cour avec quelque tendresse, il a reconnu que les résultats en furent assez minces. C’est plus tard seulement que la modeste scène de Weimar prit une importance considérable, lorsque Schiller y fit jouer ses derniers drames. Encore à ce moment-là, les lettres de Schiller à Kœrner ne donnent-elles pas une haute idée de la troupe : à l’occasion de la représentation du Camp de Wallenstein, il rend hommage à la bonne volonté des acteurs, qu’il juge « assez médiocres » ; après la première des Piccolomini, il écrit que « la