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été et n’en seront pas résolues. Il y a, sur ce sujet, entre les Etats-Unis et l’Espagne, trop de malentendus, ou plutôt un malentendu fondamental, qui suffit à tout embrouiller. Les États-Unis, depuis tantôt un siècle, veulent démontrer à l’Espagne qu’elle ferait un excellent marché en leur cédant Cuba; et il se peut que ce soit la vérité, mais c’est la seule chose que l’Espagne ne puisse comprendre, qui ne puisse jamais entrer dans une tête ou dans un cœur espagnol, de faire de Cuba, — représentant pour l’Espagne ce que l’île représente et saturée de sang espagnol, — de faire de Cuba matière de marché. Inversement, l’Espagne se trompe en s’imaginant qu’à force d’héroïsme, et comme par la vertu de ses sacrifices, elle fera oublier aux Etats-Unis que Cuba est à cinq ou six heures de la Floride et fléchir les inflexibles lois de la gravitation politique que M. Adams et après lui tous les Présidons et tous les secrétaires d’Etat américains ont proclamées et invoquées contre elle.

« Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ! » a dit M. Mac Kinley en style évangélique. Malheureusement il y a sur la terre trop d’hommes — et trop de faits — de mauvaise volonté. S’il existe un malentendu entre l’Espagne et les Etats-Unis, il en existe un autre entre les Etats-Unis et l’insurrection cubaine. Les Etats-Unis auraient tort de croire que l’idéal des Cubains rebelles à la domination espagnole soit d’être annexés à l’Union et de voir leur étoile aller faire dans le firmament américain une quarante-sixième ou quarante-septième partie de constellation. L’étoile de Cuba est une étoile solitaire, et l’idéal des insurgés, le vrai, c’est une république à la mode haïtienne. Mais, en retour, les Cubains auraient tort de se flatter que les Etats-Unis laisseraient, à leur ombre et dans leur sphère d’attraction immédiate, se fonder définitivement et sans penser à la discipliner, à se l’agréger, sinon à l’absorber un jour, une seconde république d’Haïti. — Voilà bien des illusions ; voilà bien des causes de querelle ; en voilà pour bien longtemps ; et il pourrait se faire que le Nouveau Monde eût, dans la question cubaine, sa question d’Orient.


CHARLES BENOIST.