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« Flibustier Hamilton, et flibustier aussi le général Andrew Jackson; flibustiers ceux qui, en 1819, en 1820, en 1821, plus tard en 1836, voulurent aller émanciper — et annexer — le Mexique ! »

Oh ! M. Soulé ne demandait pas, — il avait la verve trop riche et le verbe trop rapide pour ne pas se contredire un peu ; mais que lui faisait une contradiction? — il ne demandait pas que l’on arrachât Cuba à l’Espagne, en violation des préceptes du droit des gens. Et néanmoins il demandait qu’on en finît avec cette éternelle question cubaine. Or comment en finir? A l’achat de l’île on ne pouvait pas penser. C’était une idée à abandonner. « Quiconque connaît le moins du monde la hautaine susceptibilité de l’orgueil castillan ne saurait se mettre en tête d’aborder ce sujet épineux sous forme de duros et de centavos, de francs et de centimes. » Comment donc s’y prendre pour avoir Cuba, sans l’acheter? Comment donc prendre Cuba, sans violer le droit des gens? Il y a des guerres légales, concluait M. Pierre Soulé, et de celles-là sont les guerres qu’une nation est moralement obligée d’entreprendre pour sa propre conservation.

Entre les États-Unis et l’Espagne, pour la conservation des États-Unis par l’annexion de Cuba, il voyait venir une de ces guerres justes, légales, qui sont, non pas une violation, mais comme une sanction du droit des gens; et sur l’issue de cette guerre, M. Soulé était tranquille. Avec quel superbe dédain il relevait la phrase de M. Pidal à M. Saunders : « En vain, s’écriait-il, l’Espagne souhaiterait-elle que l’île fût submergée par l’océan, plutôt que de la savoir aux mains d’une autre puissance. Si l’ouragan se déchaînait, l’île flotterait encore sur les eaux, et se rirait des vagues agitées, cependant que dans la tempête disparaîtrait la souveraineté espagnole. Lorsque le temps sera venu, et les assauts de la mer, ni les forteresses de l’Espagne, ni ses canons, ni ses garrots, ni les édits de ses Gallien ne la sauveront de nos puissantes serres. » Le 6 août 1853, moins de trois mois après ce discours, — le rapprochement des dates est édifiant, — M. Soulé était nommé envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de la république des États-Unis en Espagne.

Il ne partit pas discrètement, comme partent, à l’habitude, les diplomates. Il accepta des banquets et des sérénades; il écouta des toasts et y répondit, à Washington et à New-York. Et si, à Washington, il eut soin de dire : « Ma mission est, sans aucun