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tout sur ce qu’était M. Soulé. Nous avons dit que la politique officielle de l’Union, correcte et attachée aux formes, avait, quand même, employé quelquefois de singuliers instrumens, et que cette diplomatie selon les règles s’était faite, quelquefois, au moyen de diplomates très irréguliers : il est probable que de tous, M. Pierre Soulé fut le plus singulier et le plus irrégulier. Français d’origine, ses opinions politiques exaltées l’avaient contraint à s’exiler de France; et, après avoir mené une vie errante qui nulle part ne s’était assagie, il avait fini par atterrir et se fixer à la Louisiane où il avait, comme avocat, conquis une juste réputation. Il avait sans peine obtenu la naturalisation américaine, et il était à un si haut degré convaincu de la dignité qu’elle lui conférait que, sur toutes ses lettres, sa signature est suivie de ce seul titre : citoyen des États-Unis. Devenu Américain, il était allé représenter au Sénat, dans le Congrès fédéral, son pays d’adoption : son éloquence, intempérante, exubérante, un peu déclamatoire, son esprit absolu, tranchant, cassant, un peu fantasque, l’y avaient mis hors de pair, en vedette ; ses défauts le servant autant et plus que ses qualités, il s’était dessiné, dans une assemblée où de tout temps ont abondé les physionomies originales, une physionomie plus originale que les autres. C’était lui qui jadis avait défendu Lopez, après l’invasion de Cardenas; c’était lui qui ne cessait de reprocher au Président Fillmore de n’avoir pas déclaré la guerre à l’Espagne pour venger les cinquante citoyens de l’Union fusillés; c’était lui qui, le 25 janvier 1853, — moins de trois mois avant sa nomination à Madrid, — avait prononcé au Sénat un discours d’une violence inouïe, dans lequel il s’étonnait que le Sénat ne pressât pas le gouvernement de cueillir à l’arbre la pomme de Cuba.

— Flibusterie! dira-t-on. Qui le dira? L’Angleterre qui, en 1740, a été à deux doigts de « flibuster » Cuba? L’Espagne qui, récemment, n’a été retenue que malgré elle de « flibuster » les provinces de l’Equateur? Les États-Unis eux-mêmes? « J’ai peur qu’il n’y ait eu quelque chose de flibustier en ce général américain qui, en 1812, interprétant par l’équivoque les instructions que lui avait données M. Monroe alors secrétaire d’État, s’empara de vive force de l’île Amelia et de Pensacola ; qu’il n’y en ait eu jusque dans M. Monroe qui, tout en désapprouvant le fait de l’attentat, conseilla que l’on conservât le point usurpé, pour pouvoir faire un arrangement amiable avec l’Espagne. » Et M, Soulé continuait :