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l’armement offensif, poussé au contraire à son plus haut degré de puissance. Alors que deux des grandes unités de combat n’admettent, avec la tranche cellulaire de flottaison, qu’un pont blindé à 76 millimètres ; que huit cuirassés ou croiseurs cuirassés, les plus récens, les meilleurs, n’ont qu’un revêtement vertical de 10 centimètres, destiné à provoquer au premier choc l’explosion des obus à mélinite, ou s’ils emploient la ceinture métallique de flottaison, n’y acceptent que des épaisseurs de 15 à 25 centimètres et encore sur une faible étendue ; alors enfin que les cinq autres unités, relativement anciennes, ne portent des plaques massives qu’au centre, pour défendre l’appareil moteur, l’artillerie, les torpilles, les mitrailleuses, toujours du modèle le plus nouveau, le plus perfectionné, représentent sur ces beaux navires une fraction du déplacement total plus élevée que dans les autres marines.

Quant à l’éperon, les Italiens n’ont eu garde d’oublier quels services pouvait rendre cette arme terrible à qui dispose déjà de la masse pour enfoncer cuirasse, coque, cloisons ; de la vitesse pour se rapprocher à son gré de l’adversaire ; des qualités évolutives pour déjouer les efforts du bâtiment qui cherche à se dérober au coup qui le menace. Les grands navires italiens manœuvrent, disent ceux qui les ont vus entrer dans des ports resserrés, avec plus d’aisance qu’on ne l’attendrait de bâti mens aussi longs ; et si, d’autre part, leur cercle de giration a un assez grand diamètre, du moins leur faut-il peu de minutes pour en parcourir la circonférence.

On le voit, la flotte italienne est redoutable. Faut-il pourtant l’admirer sans réserve et déclarer sans défauts son plus beau spécimen, la Sardegna, le bâtiment offensif par excellence ? — Nullement. C’est même une chose étrange que des hommes si instruits, si réfléchis, n’aient pas apprécié plus haut l’importance dans la stratégie du nombre des unités, autant que celle de leur prix de revient dans le « rendement » des moyens financiers ; qu’ils n’aient pas essayé de créer des types à peu près aussi offensifs mais moins gigantesques, par conséquent moins chers et d’une répétition moins difficile pour un pays dont la fortune est plus modeste que les ambitions. Ils y seraient arrivés sans doute — ils y arrivent aujourd’hui[1] — en repoussant les trop

  1. L’Ammiraglio di Saint-Bon et l’Emmanuele-Filiberto, les nouveaux cuirassés italiens, n’ont plus que des canons de 25 centimètres au lieu de 34 : de 25 tonnes au lieu de 69. Et comme les tourelles qui enveloppent ces nouvelles bouches à feu n’ont qu’un blindage de 250 millimètres, au lieu de 450 ; que d’ailleurs tous les organismes de manœuvre, le châssis, l’affût, etc., ainsi que les munitions, subissent des réductions de poids correspondantes, l’économie totale est au moins de 1 200 à 1 500 tonnes. Le déplacement de l’Ammiraglio di Saint-Bon n’est plus que de 9 800 tonnes, au lieu de 14 000, bien que l’épaisseur de cuirasse ait été augmentée au centre du bâtiment. Mais, d’autre part, la vitesse est descendue à 18 nœuds. Avec 1 600 tonnes de plus, on aurait gardé la vitesse de 20 nœuds sans atteindre 12 000 tonnes, le déplacement de nos Carnot, Jauréguiberry, etc.