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faire tout. L’orage dont nous parlions risque de troubler profondément l’atmosphère sans la clarifier ni la purifier. On ne devra le reprocher à personne ; mais les violens qui se seront emparés de la question pour l’exploiter ne seront pas embarrassés de si peu : ils dénoncent déjà la responsabilité du gouvernement.

Celui-ci a pourtant adopté la seule attitude qu’il avait à prendre à avoir de ne se mêler en rien de l’instruction et de laisser au juge la ne peut pas être suspect aux radicaux puisqu’il a été, sous le ministère Bourgeois, nommé par M. Ricard à la place de M. Rempler, dans des conditions que nous n’avons pas à rappeler : on ne les a pas oubliées. Rien ne gêne ses investigations ; son indépendance est complète ; il use sans restrictions d’aucune sorte de cette toute-puissance que nos lois attribuent aux titulaires de sa fonction, et devant laquelle il arrive quelquefois à de très honnêtes gens de trembler. M. le garde des sceaux a poussé le scrupule jusqu’à refuser de recevoir M. Le Poittevin afin d’échapper au soupçon, ou du moins à l’accusation d’avoir exercé sur lui la moindre influence. Nous vivons, en effet, dans un temps où les démarches qui auraient été jugées autrefois les plus naturelles et les plus légitimes doivent être évitées par un ministre prudent. M. Le Poittevin peut donc faire tout ce qu’il veut. Il n’a jugé à propos jusqu’ici de demander la suspension de l’immunité parlementaire que pour quatre personnes : s’il lui en faut d’autres, il n’a qu’à le dire, on les lui livrera. Le gouvernement transmettra la demande aux Chambres, et la résolution de celles-ci n’est pas douteuse. Jamais la justice n’aura trouvé devant elles moins d’entraves. Si elle n’aboutit pas, ce ne sera la faute ni du gouvernement, ni du parlement, mais de la nature même des choses et des difficultés qui y sont inhérentes. M. le juge d’instruction prend son temps pour chercher des preuves, et peut-être les preuves qu’il trouvera n’arriveront-elles pas à le convaincre lui-même ; mais aucune volonté étrangère n’agira sur la sienne, et, quoi qu’il fasse ou ne fasse pas, il en aura seul la pleine et entière responsabilité.

La Chambre a même adopté une résolution qui serait de nature à soutenir et à activer son zèle, s’il pouvait se ralentir et se relâcher : elle a décidé de nommer au bout de trois mois une commission d’enquête qui évoquerait à son tour devant elle toute l’affaire de Panama. Le prétexte qu’on a donné pour justifier cette mesure est qu’en dehors des responsabilités purement judiciaires, il peut y avoir des responsabilités morales qui échappent à la répression pénale,