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pour des étrangers. Il y a des Suisses et des Westphaliens des Hanovriens, des Badois, et des Tyroliens. Mais, depuis la mort de Gottfried Keller et de Fritz Reuter, aucun n’est aussi goûté que le Styrien Rosegger, auteur de Ma Forêt natale, du Journal d’un maître d’école, du Chercheur de Dieu, de Jacob le dernier, de Pierre Mayr l’aubergiste, et d’une trentaine d’autres romans et recueils de contes, sans compter cette Lumière éternelle qui nous occupe aujourd’hui!

En France même, durant ces dernières années, on a maintes fois essayé de le présenter au public. Mais le charme ténu de ses récits s’évapore dès qu’on tente de les traduire : et puis on les a, jusqu’à présent, assez mal traduits; et c’est encore une détestable méthode, pour nous intéresser à un auteur étranger, de nous déclarer tout d’abord qu’on va nous offrir des chefs-d’œuvre.


Des chefs-d’œuvre, M. Pierre Rosegger n’en a point produit; et si populaire qu’il soit dans l’Allemagne entière, ce n’est certainement pas un grand écrivain. Fils de paysans, d’abord berger, puis apprenti tailleur, il avait dix ans quand il apprit à lire ; et il y a bien des secrets du métier des lettres qu’on sent trop qu’il a toujours négligé d’apprendre. Il ne sait ni composer un récit, ni pousser à fond le développement d’une idée. Se restreindre, donner à sa pensée une forme serrée et précise, éviter les répétitions et les détails inutiles, cela non plus il ne le sait guère. Les défauts de son dernier roman se retrouvent jusque dans ses contes; et un critique a même pu dire que, de toutes ses œuvres, la Lumière éternelle était, littérairement, la plus irréprochable.

Quarante ans de littérature, ni de nombreux voyages, ni la fortune, ni la gloire, n’ont empêché M. Rosegger de rester un paysan. Mais rien aussi ne l’a empêché de garder au fond de son cœur tous les instincts de sa race : et je ne crois pas que jamais un conteur provincial ait mieux connu, mieux compris et mieux senti les caractères particuliers de sa petite patrie. Ses récits ne sont pas des récits de lettré : mais non seulement ils nous dépeignent exactement la physionomie des villages styriens : ils nous en révèlent l’âme tout entière, avec une vérité d’autant plus frappante qu’on la devine plus irréfléchie, et, en quelque sorte, inconsciente.

Son nouveau roman en est une preuve nouvelle, et des plus curieuses et des plus typiques. Il s’y est efforcé, évidemment, de s’élever au-dessus du niveau ordinaire de ses tableaux styriens. Entraîné dans le courant général, il a voulu, lui aussi, écrire un