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mois durant était privé de toute communication avec le dehors. Le prêtre qu’il s’agissait d’y remplacer était devenu fou, après y être resté une vingtaine d’années.

Avant de partir, l’abbé se rendit chez l’évêque, pour le remercier », suivant l’usage. Le vieillard lui fit l’accueil le plus affectueux. « Mon enfant, lui dit-il, ne croyez pas que j’aie voulu vous punir! Au contraire ! Vous voici désormais curé, vous voici libre. En vous nommant a ce poste, j’ai voulu vous mettre à même de tenter, dans ce coin isolé et lointain, la réalisation pratique de maintes de ces réformes que vous avez, dans vos écrits, théoriquement énoncées. Je ne vous défends pas de continuer à écrire; mais je crois que, là-haut, vous aurez mieux à faire. Sept cents âmes vous sont confiées. Que Dieu vous donne des forces, et vous garde ! Adieu, Wieser ! » Le cinquième dimanche après Pâques, l’abbé Wieser faisait son premier sermon dans la petite église de Sainte-Marie-en-Torwald.


Tel est, en résumé, le prologue d’un roman qui vient de paraître en Allemagne, et qui, depuis son apparition, y mène grand bruit. Il est intitulé la Lumière Éternelle, récit tiré du journal d’un prêtre de la forêt. Et comme le livre a près de cinq cents pages in-octavo, comme il porte sur la couverture l’image d’une grande croix d’où sortent des rayons de clarté, on s’attend, après ce prologue, à une sorte de roman philosophique et religieux, discutant, sous la forme d’un récit, les plus graves problèmes de la conscience humaine. On se dit que, abandonné ainsi à lui-même, dans ce village perdu, l’abbé Wieser ne peut manquer de prendre les proportions d’un apôtre et de tenter, en effet, « la réalisation pratique » des réformes qu’il rêve. On le voit s’essayant à un rôle sublime, luttant pour assurer le triomphe de l’Évangile, et pour rendre à la croix son « éternelle lumière ». On songe à la fois aux prédications du comte Tolstoï et aux beaux ouvrages de M. Ferdinand Fabre. Mais surtout on se rappelle ce mouvement de christianisme social dont parlait naguère, ici-même, M. Georges Goyau, et qui, depuis quelques années, a poussé un si grand nombre de prêtres allemands, protestans et catholiques, à se mêler d’une façon très active à la lutte des classes. C’est un des héros de ce mouvement, sans doute, que l’auteur de la Lumière éternelle aura voulu nous montrer; un de ses héros, et peut-être un de ses martyrs : car la révolte n’est point aisée, et risque fort d’être dangereuse, pour un humble curé de village autridiien ; et l’abbé qui prêche à son évoque la nécessité du mariage des prêtres semble bien avoir en lui toute l’étoffe d’un révolté. Entre cet