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grandeur de l’ordonnance et du plan. C’est presque une strophe que le déchirant appel aux étoiles, dont chaque note appuie et mord sur des harmonies étonnantes de richesse et de solidité. Et c’est un vrai finale, magnifique de calme, de sérénité et d’extase, que le cantique du ténor et des chœurs invisibles qui tantôt accompagnent et tantôt répondent. Pour thème ou pour fond musical de cette mystique apothéose, le compositeur a choisi la mélodie du Pange lingua. A tous les points de vue : traitement de la mélodie elle-même, contrepoint ou canon, écriture et polyphonie vocale, il s’en est servi en maître, j’allais dire en grand maître liturgique et pieux. Tandis qu’elle se déroule et plane, attiré, guidé par elle, le héros monte lentement. Il monte, élevant entre ses bras comme une hostie expiatoire son doux fardeau d’amour et de mort. Il monte et quelquefois il chancelle, mais chaque fois il se relève et reprend sa marche, saluant d’une voix toujours plus vibrante et plus triomphale le ciel toujours plus proche et plus radieux.

Musicale et poétique, une telle fin pourrait bien n’être pas très loin du sublime. Elle rappelle sans trop de désavantage les splendeurs suprêmes des grandes assomptions wagnériennes. « Qui que tu sois, voici ton maître », pensions nous l’autre soir. Le voici du moins pour un instant, et qui que tu sois en effet, quels que puissent être tes goûts, ou tes préjugés, tes traditions et tes espérances, quel que soit le passé que tu regrettes et l’avenir que tu attends, il faut ici t’incliner et te rendre.

Mais il faut te reprendre aussi. Qu’une œuvre comme celle de M. d’Indy, considérable, admirable même à la fin, qu’une œuvre de ce genre s’impose, il est juste et il est bon de le reconnaître. Ne taisons pas non plus qu’elle s’oppose, qu’elle contredit à ce qui reste, à ce que nous voulons garder non seulement de national, mais de classique et de latin dans notre génie, notre goût, notre art, notre idéal enfin, car nous avons bien le nôtre. Et le nôtre n’est pas celui-là. Non certes, là n’est point pour nous la voie, la vérité et la vie. Malgré mon admiration, mon émotion même, en assistant à la mystique ascension de Fervaal, je m’en rappelais une autre. Celle-là ne s’accomplit pas parmi les pics neigeux et dans l’air glacé de quelque Islande de rêve, mais au chaud soleil d’un printemps italien. Le héros ne tient pas dans ses bras un cadavre, et de lui mieux que de Fervaal on sait d’où il vient, où il va. Entre les statues, les fleurs, les eaux jaillissantes, il gravit des degrés de marbre derrière trois jeunes filles, trois magnifiques et très réelles créatures de chair et de sang, Anatolia, Violante et Massimilla. Elles lui parlent en le précédant. Il monte dans leurs voix et leurs ombres