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reconstruire l’échafaudage pour les compléter ; et, montrant du doigt les Patriarches, les Prophètes et les Justes de la voûte : « Ceux qui sont dépeints là-haut ne tenaient pas à l’or, » dit-il. Le pape dut se contenter de cette riposte, de cette burla, comme l’appelle Condivi[1].

« Très cher père, — écrivait vers ce même temps Michel-Ange au vieux Lodovico Buonarroti à Florence[2], — j’ai fini la chapelle que j’avais à peindre; le pape en demeure très satisfait (assai ben sodisfatto). Les autres choses ne m’ont pas réussi comme je l’avais espéré; j’en accuse les temps qui ne sont pas favorables à notre art. Je ne viendrai pas pour la Toussaint. Tâchez de vivre aussi bien que vous pourrez, et ne vous mêlez de rien. Votre Michelagniolo, sculpteur à Rome. »

N’admirez-vous pas ici l’insistance de l’artiste à signer scultore, le lendemain même du jour où il vient de terminer la plus grande page de peinture que le monde ait jamais connue? Et n’êtes-vous pas tenté d’y voir comme une protestation contre la violence qui lui a été faite pendant cinq ans, comme une déclaration qu’il va maintenant reprendre sa liberté?... Remarquez aussi qu’après avoir tant parlé pendant tout l’été de son impatience de rentrer dans son pays, voilà qu’il déclare tout à coup, sèchement et sans autre commentaire, qu’il ne viendra pas pour la Toussaint!... Qu’irait-il faire maintenant, en effet, dans cette cité profanée, asservie, où « un seul s’approprie ce qui a été donné à tous[3]? » Il ne quittera pas Rome de sitôt; il y prend un studio dans la rue Marcel de’ Corvi.

Après cette lettre de l’artiste, — la dernière de l’époque de la volta, — il est intéressant de relever le passage suivant dans le Diarium où le maître des cérémonies, Paris de Grassis, parle de son côté de la fin des travaux dans la chapelle palatine :

« Le 31 octobre 1512. Aujourd’hui dimanche, vigile de Toussaint,

  1. Je soupçonne toutefois la burla de n’être que l’amplification du mot déjà dit en 1508 au sujet des apôtres. Michel-Ange, sur ses vieux jours, faisait souvent confusion, et donnait des versions différentes d’un même fait. — Quant à la remarque de Jules II sur les dorures, — remarque dont on lui fait un si grand crime dans nombre de livres modernes, — il n’est que trop vrai que Michel-Ange a oublié de dorer les petites balustrades des trônes des prophètes à partir de Daniel et de la Persica, ainsi que l’on peut le constater encore aujourd’hui.
  2. Lettre sans date, mais écrite évidemment dans les derniers jours d’octobre 1512. Milanesi (p. 23) lui donne la date conjecturale de 1509!,..
  3. S’un sol s’apropria quel ch’è dato a tanti. Madrigal de Michel-Ange sur Florence et les exilés florentins. (Rime, éd. Guasti, p. 25.)