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du monde; et je vis au milieu de grandes peines et de mille inquiétudes... »

Et pendant que le peintre de la Sixtine traçait ces lignes lamentables, tout autour de lui n’était que joie, allégresse et triomphe! Les fêtes, les illuminations, les banquets somptueux et les réjouissances populaires ne discontinuaient pas à Rome; et des points les plus divers de la péninsule — de Milan, Gênes, Modène, Parme, Bologne, Ravenne, etc. — arrivaient des députations pour saluer dans Jules II le « libérateur d’Italie » ! Raphaël l’exaltait dans la stance d’Héliodore; Peruzzi ressuscitait en son honneur, dans une des salles du Capitole, les gloires de la Guerre punique...

Oh! qu’il était seul alors et malheureux, le grand patriote florentin, dans sa chapelle vaticane[1] !


III

On figurait très diversement au moyen âge, mais toujours magnifiquement, ces Ancêtres du Christ dont le premier chapitre de l’Évangile de saint Mathieu — le Liber generationis — nous donne la longue énumération, d’Abraham jusqu’à Jessé et David, et de David jusqu’à Joseph et Marie. Dans le dôme de Monreale, les aïeux du Sauveur remplissent vingt-trois splendides médaillons au fond doré, tout autour du presbytère ; dans la basilique de Venise, ils forment un grand arbre généalogique, l’Arbre de Jessé, en montant de branche en branche jusqu’à l’enfant Jésus tenu dans les bras de sa mère; ailleurs, sur les portails et vitraux des églises gothiques, ils se dressent majestueusement avec diadèmes et sceptres en chefs des nations. L’Hermeneia byzantine[2] distingue bien, dans la liste de saint Mathieu, entre les patriarches, les rois, et ceux qu’elle appelle simplement les Justes (Aminadab, Booz,

  1. On sait le rôle de Michel-Ange dans le soulèvement de Florence contre, les Medici en 1529. Encore en 1544, sous le règne du grand-duc Cosme, il chargeait Ruberto Strozzi de dire au roi François Ier que si Sa Majesté très chrétienne voulait « rendre la liberté à Florence », lui, Buonarroti, s’engagerait à lui élever de ses mains et à ses frais une statue équestre en bronze sur la grande place de la cité, (Gaye, Carteggio, II, 296.) — A Kingdom for a horse !...
  2. L’Hermeneia est le célèbre guide de la peinture sacrée que M. Didron a trouvé dans un des couvens du mont Athos et publié sous le titre de Manuel d’iconographie chrétienne (V. p. 124-129). — V. aussi Coblet, Étude sur l’arbre de Jessé, p. 6 seq. ; et sur les sculptures des cathédrales de Chartres, Amiens, etc. Wilhelm Vöge, Monumentaler Stil un Mittelalter, p. 165-190.