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le temps de la translation? La dépense de cette fortune a pris un certain nombre d’années, dix, je suppose, et durant ce temps, voici que du travail pour un million de dollars a été fait par des gens qui ont été payés pour cela. Où est le produit de ce travail? Entièrement consumé, car l’homme est devenu un mendiant... Si un écolier sort le matin avec cinq shillings dans sa poche et revient à la maison sans le sou, ayant tout dépensé en tartelettes, principal et intérêt sont partis et la fruitière et le boulanger sont enrichis. C’est bien. Mais supposez que l’écolier ait acheté un livre et un couteau : le principal et l’intérêt sont partis et le libraire et le coutelier sont enrichis, mais l’écolier est enrichi aussi et peut aider ses condisciples le lendemain avec le couteau et le livre au lieu de se mettre au lit et d’avoir à payer le médecin.

Ainsi, ce n’est pas une étude superflue que celle de la dépense, quand on étudie les causes de la misère et ses remèdes. Et la question n’est point seulement de savoir si les riches dépensent leur argent et s’il sert à donner du travail, mais encore de préciser comment ils le dépensent et à quoi peut servir ce travail. Car le bon sens, à défaut de science, et l’économie humaine, à défaut d’économie politique, nous disent que d’employer cet argent à des objets de luxe qui ne nourriront personne et seront consommés rapidement sans aucun produit de santé ou de richesse, ce n’est pas la même chose que de l’employer à faire des routes, des ports, des canaux, de l’assainissement, qui non seulement accroîtront la richesse des ouvriers qu’on emploiera, mais encore le patrimoine commun de l’humanité. Et plaider pour le luxe, parce qu’il fait vivre les ouvriers de luxe, ne deviendrait un solide argument que du jour où l’on aurait démontré que les ouvriers de luxe sont plus intéressans que les autres où l’on aurait du moins prouvé qu’ils sont plus nombreux et que par conséquent le bien-être général des travailleurs doit leur être sacrifié, démonstration que les partisans du luxe ne sont pas près de faire...

D’ailleurs, qu’est-ce à dire : « faire vivre les ouvriers? » Mais il n’y a qu’une façon de faire vivre quelqu’un : c’est de produire ou d’aider à produire des choses utiles à la vie, des choses qui nourrissent, qui vêtissent, qui garantissent du chaud et du froid, qui guérissent et qui purifient? Toutes les ingéniosités des économistes n’empêcheront point que, si l’on emploie cent hommes à démolir des masures insalubres d’une ville et à les remplacer ou à nettoyer les trous à fumier d’un village, on aura fait plus