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leurs lèvres étaient épaisses et leur peau noire, — parce que le soleil les avait regardés ; — mais jamais, dans un pays où les joues étaient pâlies par un misérable labeur et une ombre mortelle et où les lèvres de la jeunesse au lieu d’être pleines de sang, étaient amincies par la famine ou déformées par le venin... »

Pour le corps il faut donc prêcher hautement le culte de la Beauté. Dès la jeunesse, le corps de chaque enfant pauvre doit être rendu aussi parfait qu’il peut être sans aucun égard à ce qu’il fera plus tard. Parvenu à l’âge où il doit gagner son pain, les travaux peut-être déformeront, aviliront, courberont, déjeteront ce magnifique et souple faisceau de muscles que nous montrent, au moment de s’oindre pour la lutte, les athlètes du Vatican. Mais, en attendant, il faut que cette créature vivante, que peut-être vous tuerez plus tard, atteigne le plein développement de son corps et goûte la vie et porte la beauté de la jeunesse. Pour cela, il faut des écoles en pleins champs, des exercices physiques et des danses apprises comme une institution d’État. Qu’avons-nous à aller travailler et pâlir devant les vieux marbres sans têtes et sans mains des musées? Ce sont nos poitrines et nos épaules qu’il faut rendre dignes d’être vues autant que les marbres d’Elgin ! N’écoutons ni les ascètes, ni les prédicans! N’allons pas enfermer les meilleurs d’entre nous dans les cloîtres pour s’y dévouer à ce qu’on appelle pompeusement « le service de Dieu » ! Qu’ils se dévouent plutôt au service de l’homme ! « C’est le premier devoir de la femme que d’être belle, et il ne faut rien négliger pour qu’elle le remplisse. L’homme et la femme ont été voulus par Dieu parfaitement nobles et beaux aux yeux l’un de l’autre... »

Or le grand obstacle à la Beauté plastique, c’est la misère. Et le sentiment esthétique, à défaut de sentiment humain, nous pousse à la combattre et à la vaincre. Par quels moyens? Par tous les moyens : par la charité envers le malheur immérité et par la coercition contre le vice, par la grâce et par la force, par l’or et par le fer. L’or, il faut le jeter à pleines mains, comme sur la tombe antique le poète jette des lis, comme sur les gazons de Botticelli, le Printemps jette des roses. Ce qu’on donne aujourd’hui n’est rien : il faut tout donner. Les économistes sont satisfaits des palliatifs que la charité publique ou privée offre aux pauvres ; ils nous montrent avec orgueil des hôpitaux, des maisons de retraite, des asiles infantiles, des dispensaires. Qu’est-ce que cela? et pourquoi, si c’était quelque chose, voici tant de figures émaciées