ses pieds ouverts chaussés de brodequins rouges ; les pendeloques de ses bracelets sont des croix. Et tout un vol d’images s’échappe de ses mains allongées ; prisonnières de la voûte d’or, elles enguirlandent les arceaux, tournoient dans ces coupoles où la lumière vibre et se réfléchit comme fait le son dans une coquille marine.
Tous ces visages morts considèrent avec tristesse les hommes d’aujourd’hui ; à travers l’instant que nous sommes dans la durée, le regard de leurs yeux dilatés et sombres est tout ensemble le secret du passé et l’énigme de l’avenir.
On songe et l’on doute avec eux. Où s’en ira-t-il un jour, l’or de l’iconostase ? Entre cette fixité où le voilà et le rapide et constant mouvement d’échange grâce auquel les ressources du travail viendront sans retard satisfaire les besoins, comment la Russie franchira-t-elle toute cette distance ? Ce passage à une forme moderne de l’existence, égoïste et combative, cette course au bien-être, cette lutte pour la vie qui partout s’exaspère et dans laquelle c’est nous, soldats, qui sommes les pacifiques, cette lutte industrielle, comment une nation purement militaire saura-t-elle la soutenir ? Et dans cette bataille où l’on ne frappe plus avec le fer, mais avec ce métal que voici mêlé encore aux adorations, comment de ses mains inexpertes maniera-t-elle l’arme redoutable que les nations plus anciennes n’ont pas encore appris à porter, et qu’on ne peut ni diriger ni seulement déposer sans que des hommes viennent se blesser à son tranchant d’or ?…
Tout d’un coup un chant joyeux éclate ; un allègre frisson court sur le peuple, sans atteindre pourtant la région correcte où nous nous tenons ; les prêtres, qui rentrent d’un pas rapide, répandent partout un mot d’ordre de victoire et de délivrance :
— Christ est ressuscité ! me dit l’un d’eux dans l’oreille ; la flamme de son cierge met un reflet rouge sur son front intelligent ; il sourit avec politesse, et le vieux gentilhomme, en hochant la tête, fait le signe de la croix.
Les chantres à pleine voix, puis le chœur en sourdine, répètent un même motif, et c’est un appel triomphant d’en haut, une réponse timide d’en bas, accordés à l’unisson d’une joie surnaturelle :
— Christ est ressuscité d’entre les morts ; par sa mort il a vaincu la mort ; il rend la vie aux dormans du tombeau !…
Les prêtres, un instant absens, déposent leurs robes noires et reparaissent en de pompeux ornemens blancs ; leurs longs cheveux