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Bismarck faisait savoir au cardinal Nina qu’il était prêt à négocier avec le nonce de Vienne, Mgr Jacobini, les bases d’un rapprochement entre le Saint-Siège et Berlin. Quoique promu à la nonciature de première classe de Lisbonne, Mgr Aloysi éprouva un vif déplaisir en apprenant que son départ de Munich allait en quelque sorte coïncider avec la reprise des pourparlers qu’il avait eu, un an auparavant, le périlleux honneur d’entamer à Kissingen. Il avait conservé avec le Chancelier de si excellens rapports personnels qu’il était impossible de supposer que le choix du nonce de Vienne pour suivre ces négociations eût été indiqué de Berlin. Dès lors c’était à une détermination dont l’initiative émanait du Vatican que, selon toute vraisemblance, il convenait de l’attribuer. Il fallait donc en conclure qu’on avait renoncé, à Borne, au programme qu’avait eu à défendre au mois d’août 1878 Mgr Aloysi, et au service duquel il avait déployé des idées de sagesse et de conciliation qui répondaient peut-être plus aux sentimens personnels du souverain pontife qu’à ceux de la congrégation de cardinaux saisie par Léon XIII des propositions d’armistice du prince de Bismarck.

En réalité, le Saint-Siège maintenait sa demande concernant la complète abrogation des lois de mai et persistait dans la pensée que les questions à débattre entre la chancellerie pontificale et Berlin devaient être traitées à Rome. Les pourparlers tenus par Mgr Jacobini, d’abord à Vienne avec le prince de Beuss, ambassadeur d’Allemagne en Autriche, ensuite à Gastein avec le prince de Bismarck lui-même, n’ayant pas abouti, le cabinet de Berlin décida en 1880 de s’engager dans une autre voie pour arriver à la pacification religieuse sans le concours direct du Saint-Siège. Le 19 mai, le Landtag de Prusse fut saisi d’un projet de loi dit « des pouvoirs discrétionnaires » par lequel le gouvernement royal devait être muni de la faculté de prendre vis-à-vis du clergé catholique telles mesures qui seraient estimées utiles au bien de l’Etat. L’article IV de ce projet permettait notamment la réinstallation des évêques sur les sièges dont ils avaient été naguère dépossédés par le haut tribunal ecclésiastique. C’était indubitablement le témoignage du désir persistant de l’empereur Guillaume et du prince de Bismarck d’inaugurer une ère très différente de celle qui s’était ouverte en 1871.


ED. LEFEBVRE DE BEHAINE.