Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 140.djvu/777

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


II


Le Lundi Saint.

Une affaire longtemps différée, qu’il faut conclure, m’amène ce matin à la Lavra. Ce lieu saint n’est que le réduit de l’enceinte militaire jetée tout autour du Pétchersk ; l’entrée principale fait face à la grille de l’arsenal ; les Quarante Bienheureux peints là sur une fresque élèvent les mains pour bénir des trophées de canons. Sous le porche monumental et rococo, un moine assis mouille le front des gens avec un pinceau trempé dans l’eau bénite ; puis c’est une cour dont les yeux s’étonnent. À droite et à gauche des bâtimens bas ; au fond, un château à deux ailes, sans corps central, construit dans je ne sais quel style jésuite et doré, et qui se trouve être une église, la très sainte église de l’Assomption. C’est là qu’on garde l’Image miraculeuse apportée du ciel par les anges de la part de la Vierge ; c’est là qu’on chante les vieux lady grecs invariablement répétés depuis mille ans. Un clocher très élevé, mais plus bizarre encore et plus lourd, aux trois étages de pilastres et de corniches, sonne justement un carillon qui s’achève par une note répétée, insistante ; les silhouettes noires des moines convergent de tous côtés vers le temple ; sous leurs bonnets carrés, le vent joue dans leurs chevelures bouffantes et crêpées. Hâtons-nous, ou bien je ne trouverai plus au gîte ce batiouchka.

Au bout d’un chemin pavé, qui plonge entre de hauts murs, une étroite échappée montre, à mesure qu’on descend, le fleuve puis la plaine, puis le ciel ; et, tournant à droite, on arrive au sommet d’un amphithéâtre où des bâtimens dégringolent pêle-mêle. Partout des églises, hautes ou basses, posées comme ceci et comme cela, fleurissent de leurs coupoles dorées, blanches, vertes ou bleues, les terrasses du mystique jardin.

— Le Père qui dirige l’atelier de peinture ? demandé-je à un moine qui bâille, de faim ou d’ennui, sur le seuil de la boutique aux images.

Il me conduit par un escalier raide et poudreux, par un corridor sans lumière et sans air, s’arrête au fond dans l’ombre, et, la bouche au trou d’une serrure, prononce je ne sais quelle formule ecclésiastique ; le batiouchka paraît

— Un officier français… Pour une demande particulière.