Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 140.djvu/707

Cette page a été validée par deux contributeurs.

M. Luzio, de nous faire voir quelle énorme part personnelle revient à Acerbi dans l’organisation et dans le succès de cette célèbre revue. C’est lui qui l’a vraiment créée, lancée, constamment soutenue. Riche, désintéressé, sans autre ambition que de remplir son devoir, il a vraiment fait à cette entreprise le sacrifice complet de dix ans de sa vie. On n’imagine pas les difficultés de toute espèce qu’il a rencontrées sur sa route : le récit qu’en fait M. Luzio a tout l’imprévu et toute la variété d’un roman d’aventures. Et en outre de tant de soins matériels il a encore donné à sa Biblioteca toute sa pensée : non content de la diriger avec une sollicitude et un talent remarquables, il y a publié lui-même de nombreux articles, qui, absolument dénués de toute prétention littéraire, n’en restent pas moins des modèles d’information agréable et sûre, et dont l’influence, dans leur temps, a été très vive. Sans doute il était né directeur de revue, comme d’autres naissent acteurs, financiers, ou soldats. Mais c’était en tout cas une figure curieuse, et qui valait d’être remise en lumière : sans compter qu’autour d’elle M. Luzio en a exhumé vingt autres également oubliées, et que sa biographie d’Acerbi se trouve être, de cette façon, un tableau en raccourci du mouvement littéraire en Italie aux premières années de notre siècle. Nous permettra-t-on d’en indiquer, au moins, quelques-uns des traits les plus caractéristiques ?


Joseph Acerbi avait plus de quarante ans lorsque, en 1815, le général Bellegarde lui confia la direction littéraire de la Biblioteca Italiana Né en 1773 à Castel-Goffredo, près de Mantoue, d’une vieille famille de fonctionnaires, il avait passé sa jeunesse à errer à travers le monde, tantôt visitant les pays scandinaves, tantôt étudiant la philosophie en Allemagne, ou l’archéologie en Angleterre. Le récit de son voyage au cap Nord, d’abord publié en anglais, avait été traduit tout de suite dans toutes les langues de l’Europe et paraît même avoir vivement piqué la curiosité de Napoléon. « Bonaparte voulut me voir, écrivait plus tard Acerbi. Marescalchi, ministre de la République Cisalpine séant à Paris, reçut de lui l’ordre de m’employer. Il fallut céder aux circonstances, d’autant plus que j’étais marqué comme un de ceux qui avaient quitté l’Italie en 1796. Au lieu d’aller en Portugal, en Espagne, et de terminer mon voyage d’Europe par l’Italie, je restai à Paris, attaché au ministère des Relations Extérieures. » Mais cette première période de sa carrière administrative ne devait être que de courte durée. Certains passages de son livre ayant déplu au gouvernement suédois, le malheureux jeune homme se vit un beau jour appréhendé au corps et conduit en