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cette conception de ses devoirs politiques ne l’empêchait pas d’être, à sa manière, un ardent patriote, et profondément dévoué à la gloire de l’Italie. Il s’était simplement interdit, en bon fonctionnaire, d’étendre ses vœux jusqu’à la politique ; mais en matière de littérature, de science, d’art, aussitôt que la politique n’était plus en jeu, il poussait à un très haut degré le sentiment patriotique. D’année en année, à mesure qu’il devenait plus libre de ses mouvemens, il faisait la part plus large, dans sa revue, à toutes les manifestations du génie italien. De toutes les provinces de la péninsule, et de Sicile, de Sardaigne, il se faisait adresser des correspondances régulières, signalant jusqu’aux moindres nouveautés littéraires ou scientifiques : de telle sorte que peu de patriotes, en fin de compte, ont aussi activement contribué que ce renégat à ranimer en Italie la vie intellectuelle. Mais surtout il a contribué à lui donner de l’unité, en rapprochant les uns des autres pour les faire concourir à une action commune des hommes qui, jusque-là, s’étaient à peine considérés comme des compatriotes. Il a été l’un des précurseurs de la « Renaissance latine » ; et à ce seul titre il mériterait déjà d’être sauvé de l’oubli.

Encore son action, et celle de la Biblioteca Italiana, n’ont-elles pas été purement littéraires. En le chargeant de créer une revue qui devait stimuler la curiosité du public italien pour les choses de l’esprit, le gouvernement autrichien avait espéré, par là, détourner l’attention de la politique ; on voulait, suivant l’expression de Cantù, « réconcilier les vaincus avec leurs vainqueurs » et « dorer la chaîne qu’on leur faisait porter. » Et c’était, nous l’avons dit, le sentiment d’Acerbi lui-même : c’était celui de Monti, de Giordani, du géologue Breislak, qui tous s’étaient engagés à aider de toutes leurs forces au succès de la revue que fondait le gouvernement. Mais bien loin d’assoupir dans l’âme italienne le vieux désir d’indépendance, cet éveil de la curiosité intellectuelle n’a fait au contraire que le fortifier. En prenant une plus claire conscience d’elle-même, en s’accoutumant à mieux connaître son passé, en découvrant son unité profonde sous la diversité des régions et des gouvernemens, l’Italie s’est, en fait, armée pour la lutte contre la domination étrangère. Et personne ne devra s’étonner que M. Luzio ait réservé à la Rivista istorica del Risorgimento quelques-uns des principaux documens qu’il a trouvés touchant la fondation et le développement de la Biblioteca Italiana : car plus encore que la revue rivale, il Conciliatore, cette revue, d’origine tout officieuse, a contribué à préparer et à hâter l’heure de la « résurrection » italienne.

Et c’est précisément le grand intérêt historique des recherches de