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La Carrière nous a fait un plaisir d’un autre genre, un plaisir fin, tout de sourire et de malice, très vif d’ailleurs. Il y a deux choses dans la comédie de M. Abel Hermant : une petite histoire, et la peinture ou l’esquisse d’un monde spécial. L’historiette est piquante, l’esquisse aussi. Mais ce qu’il y a de mieux encore, c’est qu’elles s’expliquent et se complètent joliment l’une l’autre, et que cette anecdote appelait ce « milieu », et inversement; de façon que la pièce, très spirituelle, maligne et griffante, est, en outre, harmonieuse.

L’anecdote a été souvent contée, comme toutes les anecdotes. A n’en retenir que l’essentiel, c’est l’aventure, d’un mari qui trouve ou commode ou de bon ton de ne pas aimer sa femme, sinon comme une camarade ou comme une associée, et qui, un beau jour, s’aperçoit, à sa jalousie, qu’il l’aimait aussi autrement. C’est la donnée première du Préjugé à la mode, et c’est la donnée de Ma Camarade.

Mais cette aventure, M. Hermant a su la « situer » d’une façon très judicieuse; et je vous assure que cette exacte appropriation de la « fable » et du « milieu » n’est point si commune au théâtre. Il a compris que le monde où un mari de cette force devait le plus vraisemblablement se rencontrer, c’était la diplomatie ; telle qu’elle est? je ne sais, mais au moins telle que nous nous sommes toujours plu à nous la figurer. Son petit duc de Xaintrailles « pioche » la froideur, comme il sied à un secrétaire d’ambassade. Il considère d’ailleurs qu’en ce temps de république, le seul refuge décent, pour les gens propres, c’est « la carrière » ; qu’un homme de sa race ne peut vivre que là où il y a des cours; que le seul moyen d’y vivre, c’est d’y représenter cette fâcheuse république, et qu’ainsi la diplomatie est la forme la plus récente de l’ « émigration ». Il explique cela à sa fiancée, petite provinciale de grande famille; et il lui fait entendre, par la même occasion, que d’avoir des sensations vives ou des sentimens tendres, et surtout de les laisser paraître, cela est on ne peut plus « mal élevé ». Il est, lui, bien élevé ; il est spirituel avec un remarquable fond de sottise ; correct, glacial, empesé, verni; il est à gifler : il est parfait.

Il épouse donc la petite Yvonne, et l’emmène dans la capitale où il représente pour sa part, en qualité de second secrétaire, la démocratie française; bien résolu à ne pas aimer sa femme, parce que cela serait de mauvais ton, et à demeurer le correct amant de lady Huxley-Stone, parce qu’il « convient » qu’un secrétaire de l’ambassade de France ait cette liaison à l’ambassade d’Angleterre. Et c’est ici que se place le croquis de mœurs diplomatiques.

Croquis évidemment caricatural, mais que l’on sent, — ou que l’on