Dès lors, quoi d’étonnant que, après le cavalier tartare ou le compère de Villon, M. Richepin ait laissé chanter en lui, pour changer un peu, le poète idyllique et sentimental (le Flibustier) et presque l’ »homme sensible » du siècle dernier (Vers la joie) ou le bon poète tragique épris d’héroïsme (Par le glaive) ? Au surplus, les bons sentimens ne peuvent-ils fournir autant d’alexandrins que les autres ? Ne peuvent-ils suggérer autant de tropes, de métaphores, de comparaisons et de rimes opulentes ? Tout revient à dire, en somme, que M. Jean Richepin est un admirable discoureur de lieux communs ; et par là encore il m’apparaît classique.
Oui, plus j’y songe, et plus je le tiens pour un homme de tradition. A une époque d’inquiétude morale, et de frisson mystique ou néo-chrétien, et d’ibsénisme et de septentriomanie, M. Richepin restait obstinément et étroitement un homme de chez nous ; il s’en tenait, selon les heures, soit au matérialisme imperturbable des bons athées simplistes du XVIIIe siècle, soit au naturisme de Diderot ou à l’idéalisme du vieux Corneille. Et, pareillement, tandis que des jeunes gens cherchaient à détendre les règles de notre prosodie et glissaient au vers invertébré, il s’enfermait jalousement dans la versification héritée, il en resserrait encore sur lui les entraves, comme à plaisir et par défi ; il restait, presque seul, fidèle aux petits poèmes « à forme fixe » ; et il en venait, dans Mes Paradis, à exprimer les angoisses de son âme double en une série de sonnets, de piécettes en tierces rimes, et de ballades, qui à la fois s’opposent deux par deux et alternent régulièrement, et qui présentent une richesse de rimes que M. Mendès atteint à peine, et que M. Bergerat ne dépasse qu’en rimant en calembours : ce qui fait tout de même bien des symétries combinées !
M. Jean Richepin est, je crois bien, le plus latin de nos poètes français. Nul n’est plus nourri du lait fort de la Louve. Il a, du latin, la ferme syntaxe, la précision un peu dure, la couleur en rehauts, la sonorité pleine et rude; jamais de vague ni de demi-teintes. Il a lui-même, dernièrement, avoué ses origines et ses prédilections dans une suite de savoureuses Latineries où il imitait à miracle ce que la pensée latine a de plus latin : les facéties fescennines, l’invective juvénalienne ou les cyniques jovialités d’un Martial.
Mais, pour l’avoir tout entier, il faut, après ses « latineries », lire ses chansons et ses contes en forme de complaintes. Car, presque au même degré que la veine classique, ce surprenant mandarin a la veine populaire. Les chansons de la Chanson des gueux et les Matelotes de la Mer sont aussi franches et aussi belles, et semblent aussi spontanées