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race de Psyché, que nous voulons voir et savoir, et notre lampe à la main, nous rechercherons si l’amour qu’ils nous vantent est le véritable amour, et nous leur prouverons aussi que leurs poupées sont dignes de travailler comme eux au grand œuvre de la civilisation[1]. »

Quelle idée se fait M. Wüstenfeld de la destinée et de l’éducation des jeunes filles ? Selon toute apparence, ce vieillard sévère leur défend de rêver. A quoi veut-il qu’on les occupe ? Est-ce assez, suivant lui, de leur enseigner la cuisine et les vertus qui font prospérer les ménages ? Est-il d’avis


Que régler la dépense avec économie
Doit être leur étude et leur philosophie ?


Approuve-t-il le proverbe hongrois qui dit qu’une femme qui, les jours de pluie, sait éviter les gouttières, n’a pas besoin d’en savoir plus long ? Il ne s’est pas prononcé sur ce point, et son silence m’inquiète ; je le soupçonne d’avoir un souverain mépris pour les lycées de jeunes filles. Ceux de ses confrères qui s’en sont expliqués ne sont point des Chrysales. « Le barbare, dit M. Moellendorf, considère les femmes comme des bêtes de somme, et le pacha ne demande aux siennes que d’être belles. N’oublions pas qu’elles ont une âme, que cette âme désire qu’on la nourrisse, et ne les mettons pas à la diète. » Un professeur de Berlin se montre plus libéral encore : il déclare que les hommes se trouveront bien, dans leur propre intérêt, de travailler à l’instruction des femmes sans regarder à la dépense, qu’ils recouvreront leurs frais, qu’il en coûte moins d’entretenir une femme instruite qu’une ignorante, qu’elle fait moins de cas des bijoux, des dentelles, des colifichets, des fanfreluches, que les Henriettes sont exigeantes, aiment à briller, s’occupent beaucoup de leurs robes, que l’homme qui épousera Armande fera une bonne affaire, qu’un peu d’idéalisme est le plus sûr moyen d’alléger les charges d’un ménage.

Je n’en suis pas aussi certain que lui. Sophie Kovalevski, je veux le croire, dépensait très peu pour ses robes et ses chapeaux, qu’elle n’achetait pas elle-même ; mais il faut remarquer qu’elle était l’arrière-petite-fille d’une bohémienne, qui, sans doute, était plus occupée du diable que de sa toilette. M’est avis que les femmes peuvent aimer les mathématiques, et ne point mépriser pour cela les bijoux. Elles ont l’esprit si souple et si divers ! elles s’entendent si bien à tout concilier ! Si j’avais l’honneur d’être un professeur allemand, et que M. Kirchhoff m’eût

  1. Der internationale Kongress für Frauenwerke and Frauenbestrebungen in Berlin ; Berlin, 1897 ; Verlag von H. Walther.