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formeraient le gros de l’assemblée, et leur opinion est qu’il s’agit d’une expérience à faire : ou elle réussira, et ils diront d’une commune voix : « Que Dieu nous protège ! » — ou elle ne réussira pas, et ils éprouveront un doux plaisir, qu’ils s’appliqueront à dissimuler ; car les professeurs allemands ont beau se vanter de n’avoir peur de rien, la femme leur fait peur, ils redoutent l’abeille et son aiguillon. Un professeur de théologie de Berlin, M. le baron de Soden, a exprimé la vraie pensée des résignés, quand il a dit : « Il y a des expériences auxquelles il faut savoir se prêter. Si celle-ci échoue, Celui qui a créé les sexes sourira, et l’homme qui connaît vraiment les femmes sourira aussi. » Les refus hautains et la morgue mandarinale ont fait leur temps, ne sont plus de mise ; on se retranche dans l’ironie.

À la question débattue par les cent vingt professeurs s’en rattache une autre sur laquelle plusieurs ont dit leur mot. Il ne suffit pas de satisfaire le petit nombre des femmes qui aspirent au doctorat ; ne fera-t-on pas quelque chose pour toutes celles qui, sans autre ambition, désirent étendre leurs connaissances et accusent les hommes de leur plaindre le pain de l’esprit ? Elles ont l’appétit très ouvert, elles crient la faim ; on ne leur offre qu’une demi-ration.

Le 26 septembre de l’an dernier, Mlle Nathalie de Milde disait au Congrès féministe de Berlin : « Quel rang et quelle tâche nous assignent les hommes ? Ils veulent que notre seule occupation soit de les admirer, de les aimer et de les espérer ; ils veulent que, hors d’état de nous suffire à nous-mêmes, notre jeunesse se passe à attendre l’apparition de l’être incomparable qui fera de notre languissante vie une vraie vie. N’ayant pas d’autre loi que leur tyrannique égoïsme, ils désirent que nous soyons à jamais des ignorantes à la tête vide, et dont le cœur sera plein de leur séduisante image. » Mlle Milde se plaignait de la littérature du jour, des romanciers, des poètes, et de l’idée qu’ils se font de la femme. Elle citait avec mépris ces vers que Geibel a mis dans la bouche d’une jeune fille : « Laissez-moi dormir et rêver ; le givre recouvre le jardin ; ma vie est une attente, j’attends l’amour et le printemps. » Et Paul Heyse ne fait-il pas dire à une autre vierge : « Je voudrais dormir longtemps sur des roses, jusqu’à ce que vienne l’homme unique qui saura me gagner le cœur ! » — « Les malheureux ! s’écriait Mlle Milde. Nous voudrions travailler, et ils nous condamnent à rêver. Ils prétendent nous réduire au rôle d’amoureuses, et l’amour n’est pour eux que la servile soumission d’une femme qui s’abandonne et dont l’esprit n’a rien à donner. Nous leur prouverons que nous sommes autre chose que de sottes poupées, que nous sommes de la