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plaider. Il fut un temps où dans la Rome antique les Romaines plaidaient ; l’une d’elles compromit son privilège par ses incartades, et le préteur les condamna toutes au silence. Et se représente-t-on une femme-juge, une femme rendant la justice ? Un professeur de droit à l’université de Strasbourg prétend qu’elle s’occuperait moins du cas et des dispositions du Code que de savoir si la personne de la partie comparante lui plaît ou lui déplaît, que sa conscience donnerait facilement raison à tout plaideur d’agréable tournure et de physionomie prévenante.

Les professeurs féministes ne se laissent point arrêter par ces objections. Eh ! sans doute, les professions libérales sont encombrées, le prolétariat bourgeois est une plaie d’Egypte, et la concurrence des femmes aggravera le mal. Mais les injustices sont de mauvais remèdes. Après tout, cette concurrence aura d’heureux effets si elle décourage les incapables, si l’avocat sans cause, le médecin sans clientèle, renonçant à leurs ambitions, se résignent à chercher leur vie dans ces petits métiers que personne ne jalouse, et qui ne laissent pas de nourrir leur monde. Serait-ce un malheur pour la société qu’un paresseux ou un lourdaud abandonnât telle fonction publique à une femme intelligente et industrieuse ? Ce qu’il faut souhaiter, c’est que la partie soit égale, que l’État, qui n’est pas tenu d’être galant, ne favorise personne, qu’il observe une stricte neutralité entre les deux sexes, qu’il partage entre les combattans le vent et le soleil : la victoire restera au plus fort, qu’il ait les cheveux courts ou les cheveux longs. Défions-nous de nos préjugés, de l’effroi que nous inspirent les objets nouveaux. « Depuis longtemps, dit M. Karl Frenzel, nous permettons aux femmes d’être comédiennes ou cantatrices, peintres ou écrivains ; il en est qui depuis peu font figure parmi les orateurs socialistes, et nous commençons à nous y faire. Nous nous accoutumerons aux femmes-juristes, aux femmes-prédicateurs. Libre à chacun de leur refuser sa confiance ; mais assurément Hypatie en savait plus long sur l’essence de la divinité que le patriarche d’Alexandrie, Cyrille, qui la fit lapider et mettre en pièces par ses moines. »

M. Wüstenfeld, le vénérable octogénaire de Gœttingue, est un de ces hommes véhémens qui ne mâchent pas ce qu’ils ont sur le cœur. La plupart des ennemis de « la femme académique » n’ont eu garde d’imiter sa brutale franchise. Quelques-uns sont des rusés, dont la valeur est réglée par leur prudence, et qui recourent aux artifices pour gagner leur procès. Ils disent aux femmes : « Ne vous y trompez pas, nous sommes vos véritables amis, et c’est dans votre intérêt, qui